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fondateur un rite qui porte encore son nom, le rite ambrosien, différent du rite romain en plusieurs points de discipline qui constitueraient de nos jours un véritable schisme. Pendant qu’à Rome le latin était retenu comme la seule langue sacrée, à Milan la liturgie faisait une large place dans la célébration des offices au dialecte vulgaire, qui commençait à se former. Les évêques de la Haute-Italie attachaient une grande importance à cet usage, car on les voit au concile de Francfort, rassemblé par Charlemagne, faire adopter, malgré le parti romain le 52e canon, qui déclare qu’il faut adorer et prier dans la langue que l’on connaît, par la raison bien simple que Dieu connaît toutes les langues. Sous cette question oiseuse en apparence, c’était en réalité l’existence des autonomies ecclésiastiques qui était en jeu. Par les dialectes vulgaires, elles plongeaient plus avant dans les mœurs locales, et pouvaient d’autant mieux résister à l’absorption qui les menaçait. Plus jalouse que toutes les autres de ses traditions d’indépendance, la Diocesi les défendit jusqu’au XIIe siècle contre la suprématie papale. Pierre Damien, le même que nous avons vu signaler pour la première fois l’existence d’une peuplade sectaire dans les Alpes, se plaint vivement dans ses lettres à la comtesse Adélaïde des résistances que rencontre le siège romain. de la part des évêques ambrosiens. La lutte portait surtout sur la question du mariage des prêtres. Rome s’efforçait de l’abolir pour détacher le prêtre de la famille, de la commune de la nation, et transformer le sacerdoce en une armée cosmopolite et mobile aux ordres du chef suprême. L’opposition à l’institution du célibat se traduisit en 1066 par le concile ambrosien de Fontanetto, près de Novare, où les évêques de la Haute-Italie, réunis sous la présidence de Guido, leur métropolitain, anathématisèrent le fameux Hildebrand, l’auteur de la nouvelle discipline, l’excommunièrent en lui donnant la singulière appellation de saint Satan, qui lui est restée.

L’opposition des évêques ambrosiens ne porta pas seulement sur la discipline et la suprématie. L’un d’entre eux, le célèbre Claude de Turin, résista à la règle émanée de Rome sur le terrain du dogme et du culte avec une énergie, une décision, qui n’ont pas été dépassées par les réformateurs du XVIe siècle. C’est une curieuse figure que celle de cet évêque. Élevé au siège de Turin par la faveur de Louis le Débonnaire, dont il avait été le chapelain, il se comporta pendant vingt ans, de 815 à 835, en véritable réformateur chrétien, disent les docteurs protestans, en sectaire violent, répondent ceux de Rome. Qu’il ait mérité la colère des uns ou l’admiration des autres, il n’en est pas moins un personnage fort extraordinaire : écrivain fécond, commentateur érudit du texte sacré, homme de parole, de plume et d’action, conduisant de front une controverse théologique immense et les factions armées contre les