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se réunir, sans autorisation préalable, dans des lieux fermés. Les réunions en plein air doivent être autorisées, mais ne peuvent être interdites que quand elles menacent l’ordre public. Les chambres votent le budget et jouissent du droit de présenter les lois, de les amender et même de modifier la constitution après deux votes identiques émis par une majorité ordinaire à vingt et un jours d’intervalle. Ainsi liberté des cultes, d’association, de réunion, de la presse, de l’enseignement, voilà certes le groupe des libertés nécessaires assez complet. A la vérité, on peut dire que la Prusse a été trop gouvernée, mais elle l’a été bien : ce qui est plus dur, c’est de l’être à la fois trop et mal. La nation doit désirer surtout que le gouvernement n’essaie pas de gêner l’exercice de ses droits par de pitoyables chicanes, comme il l’a fait durant ces cinq dernières années[1]. Que la royauté s’en souvienne, la nation saura défendre ses libertés ; elle l’a montré dans ce mémorable conflit où la chambre, semblable aux fameux parlementaires anglais du temps de Charles Ier, a résisté sans fléchir pendant cinq sessions à l’arbitraire, et où les électeurs, malgré toutes les influences du pouvoir, renvoyaient après chaque dissolution une majorité libérale plus compacte, plus inébranlable. La Hesse, dans sa lutte contre Hassenpflug, a déployé une fermeté plus méritoire encore, car on a vu des fonctionnaires, des officiers en nombre considérable, renoncer à leur carrière plutôt que d’obéir aux ordres illégaux d’un ministre détesté. Quand un peuple est capable de soutenir la résistance légale avec cette ténacité froide et invincible, il triomphe de toutes les tentatives absolutistes ; il sera libre, car il est digne et capable de pratiquer la liberté.


V

Il reste une dernière question à examiner. Les états de l’Allemagne méridionale entreront-ils dans la confédération, ou, comme on dit plus souvent, la Prusse franchira-t-elle le Mein ? On exagère, semble-t-il, la gravité de ce point quand on veut en faire dépendre la paix ou la guerre. Le Mein était franchi avant le traité de Prague, car dès le 26 août 1866, en vue de repousser l’intervention

  1. Une réforme essentielle, pressante, est celle de la chambre haute, organisée spécialement en vue de permettre aux hobereaux de tenir en échec les aspirations libérales. Au milieu de l’Allemagne renouvelée, cette pitoyable contrefaçon d’une chambre des lords, pour être un anachronisme ridicule, n’en peut pas moins devenir dangereuse à un certain moment. Plus royaliste que le roi, elle compromettrait la dynastie par une aveugle obstination à défendre tous les anciens abus.