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des formes constitutionnelles ; il admet un parlement, mais il abhorre le régime parlementaire ; il consent bien à souffrir des députés à ses côtés, dans un salon de son palais, mais à la condition qu’ils se conduisent comme des hôtes polis qui ne se permettent pas de contredire trop ouvertement le souverain magnanime qui daigne les recevoir et demander leur avis. Si la constitution prussienne n’a pas été balayée par un coup d’état, c’est uniquement parce que le roi avait juré de la respecter et qu’il a conservé cette idée un peu vieillie qu’un serment lie celui qui le prête. Il a pour la couronne qu’il sorte une sorte de culte religieux. Il s’imagine que la Prusse n’a grandi que par une protection spéciale de la Providence, et que Dieu lui réserve une grande mission dans ce monde. De là à croire que les souverains prussiens jouissent d’une inspiration divine particulière, il n’y a qu’un pas, et une certaine exaltation piétiste le fait aisément franchir. Ils jouiraient donc dans l’ordre temporel du même privilège que réclame la papauté dans l’ordre spirituel, et en marchant à l’unité allemande ils ne seraient que les ministres des desseins providentiels. Les rois de Prusse, il faut l’avouer, prennent leur rôle très au sérieux. Se souvenant du mot de Frédéric II, ils se conduisent comme les premiers serviteurs de l’état. L’exercice du pouvoir n’est point pour eux une occasion de plaisir, c’est l’accomplissement d’un devoir, et dans un pays de bureaucratie laborieuse on peut faire d’eux cet éloge, qu’ils sont le modèle des fonctionnaires ; mais plus ils tiennent à s’acquitter consciencieusement de leur charge, moins ils sont disposés à s’incliner devant la volonté d’un parlement. Tant qu’un souverain se croira favorisé par une inspiration d’en haut, le régime constitutionnel ne sera point définitivement fondé, pas plus à Berlin qu’à Rome.

Ces chimères toutefois ne peuvent durer. Le droit divin est une idée tellement surannée qu’elle paraît ridicule, et celui qui y croit fait l’effet d’un homme qui, avec le costume de notre temps, aurait coiffé le heaume de don Quichotte. La critique, qui ose ébranler des mystères dont l’origine se perd dans la nuit des siècles et qu’entoure une vénération puisant sa source dans un sentiment inné, ne respectera pas une doctrine dont l’expérience de chaque jour démontre l’absurdité. Comment le culte superstitieux du pouvoir absolu pourrait-il vivre à une époque où les rois eux-mêmes, déracinant de tous côtés les vieilles souches dynastiques, font pleuvoir les couronnes à terre, comme les feuilles qu’enlèvent les tempêtes de l’automne ? Le gouvernement personnel cessera infailliblement, car il ne s’accorde pas avec les conditions économiques des sociétés modernes. Il fait plus qu’offenser, le droit, il alarme les intérêts. Les nations agricoles d’autrefois pouvaient subsister même