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sauf la précision, de celles que répètent chaque jour en hiver les enfans qui font des balles de neige. Elles n’en démontrent pas moins que la glace a des propriétés particulières qui en font un corps à part. La glace n’est pas un corps dur ordinaire, comparable à un caillou par exemple. La pression peut bien briser un caillou, mais elle ne peut pas de la poussière former un caillou nouveau. La glace n’est pas non plus un corps plastique ordinaire, comme la résine. Pour passer d’une forme à l’autre, il faut d’abord qu’elle se brise. En outre elle ne se laisse pas étirer en fils ; elle résiste à tout effort de traction, et se rompt plutôt que de s’allonger. Elle joue dans la nature un rôle intermédiaire, mais elle ne le joue qu’à la condition d’être humide.

Ces propriétés, la masse entière du glacier doit les posséder à peu près en tout temps. En hiver en effet, elle se refroidit peu, soit à cause de la chaleur naturelle du sol, dont la température est supérieure à 0° jusqu’à 2,600 mètres environ, soit à cause de l’épais manteau de neige qui la garantit des influences extérieures. Le glacier se trouve donc toujours dans des conditions peu différentes de celles de l’expérience de Tyndall. Il est impossible dans ces circonstances que la température intérieure s’éloigne beaucoup du point de fusion, et en été tout concourt à l’y ramener. En outre la quantité d’eau qu’il absorbe lui fournit plus que l’humidité nécessaire pour se ressouder, s’il se brise. Retenue dans un réseau compliqué de fissures et de cavités grandes et petites, cette eau ne s’écoule ou ne se congèle que peu à peu ; il est probable qu’elle contribue à entretenir les ruisseaux qui en hiver s’échappent encore des glaciers, et, alors même que la provision en serait épuisée, la température générale de la masse ne tomberait point assez bas pour que le glacier fût absolument sec.

À peine Tyndall eut-il mis le pied sur un glacier qu’il reconnut partout deux ordres de phénomènes non-seulement distincts, mais contradictoires. Il fut frappé, comme Forbes, de mille effets de plasticité. Le glacier lui parut un fleuve qui se moule sur son lit, et il rendit la justesse de cette comparaison plus évidente encore par une expérience capitale. On avait mesuré le mouvement de plusieurs glaciers dans des conditions fort différentes, mais sans songer à déterminer le point maximum de vitesse aux tournans du glacier. On sait comment les fleuves se comportent en cas pareil : ils se jettent de toute leur masse contre le fond des golfes. Si le mouvement des glaciers a lieu par écoulement, ils doivent se comporter de même, et c’est en effet ce qu’ils font, ainsi que Tyndall l’a démontré par des mesures exactes prises sur la Mer de Glace. Le maximum de vitesse n’est au centre que lorsque le glacier chemine en ligne droite, et il se déplace à tous les tournans, de telle