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fraction des progressistes et un autre groupe, celui des « conservateurs libéraux, » se sont récemment ralliés à lui. La raison en est simple. L’Allemagne ne se croit pas assez en sécurité pour se permettre la fantaisie d’une opposition sérieuse. Chaque fois qu’elle s’imagine être menacée, la majorité ministérielle devient plus compacte. L’accord est facile entre la chambre et le chancelier fédéral, qui est M. de Bismarck, car tous deux sentent qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Le seul point sur lequel il semble y avoir une légère dissidence, c’est au sujet de l’Allemagne du sud, que l’assemblée paraît plus pressée de recevoir dans le sein de la confédération que ne le voudrait le ministre ; mais il ne s’agit tout au plus que d’une nuance. Pour le reste, l’entente paraît parfaite. Le gouvernement ne propose rien que l’assemblée ne le vote, et l’assemblée n’introduit aucun amendement que le gouvernement ne l’accepte. La besogne s’expédie ainsi avec une rapidité merveilleuse, et chaque jour quelqu’une de ces lois d’affaires, très utiles et très bien accueillies d’ailleurs, que le roi annonçait dans son discours d’ouverture est sanctionnée par le parlement. Cet accord entre les deux pouvoirs s’explique : ils ont les mêmes inquiétudes, les mêmes ambitions, les mêmes désirs. Un vaisseau navigue-t-il au milieu des récifs, l’équipage est toujours prêt à obéir au pilote. Gouverner devient facile quand une même passion, le sentiment national, s’est emparée de toutes les âmes et règne dans les palais avec autant de force que dans les chaumières ; mais on peut se demander si, la crise passée, l’Allemagne gardera ses libertés actuelles et jouira en paix d’un véritable gouvernement constitutionnel.

Le péril qui menace les institutions libres réside dans l’infatuation d’absolutisme militaire des souverains et de la noblesse[1]. Le roi de Prusse actuel ne se décidera probablement jamais à se courber pour un point essentiel devant la volonté d’une assemblée. Qu’une majorité parlementaire l’emporte sur la prérogative royale, c’est ce qu’il ne peut même comprendre. Ce qu’il veut au fond, lui et tout le parti féodal, c’est le gouvernement personnel déguisé sous

  1. Un soir, me promenant à Berlin sous les Linden, il y a plusieurs années déjà, avec un représentant convaincu et éloquent des idées féodales, nous discutions la question des libertés modernes, » Écoutez, me disait-il, le régime constitutionnel n’est qu’une transition qui mène à la république et par suite au socialisme. Comme je ne veux pas des conséquences, je prétends qu’il faut s’opposer aux prémisses, principiis obsta. Le peuple est un animal dangereux qu’il faut museler, et la bourgeoisie, qui elle-même a besoin d’un frein, n’est pas de force à le faire. Regardez, ajouta-t-il au moment où nous passions sous la statue de Blücher, voyez-vous le grand sabre sur lequel s’appuie ce véritable héros prussien, voilà la seule constitution qui convienne aux nations modernes. » Les idées du parti conservateur prussien sont celles de Joseph de Maistre avec la teinte du piétisme protestant et du militarisme borussianiste.