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c’est-à-dire à peu près d’un dixième, après quoi le glacier ne serait plus qu’un énorme glaçon compacte et immobile. On finit par comprendre que le problème ne serait jamais résolu, si on ne se livrait pas tout d’abord à une étude plus attentive des faits. Un naturaliste suisse, Hugi, voyageur intrépide, avait déjà donné l’exemple. Hugi fut imité par plusieurs de ses compatriotes, ainsi que par de nombreux savans étrangers. MM. Agassiz, Desor et Ch. Vogt firent construire une cabane sur le glacier de l’Aar, et y passèrent plusieurs étés. Les frères Schlagintweit étudièrent avec soin l’un des plus grands glaciers du Tyrol. M. Forbes s’établit au Montanvert, et travailla sur la Mer de Glace, M. Martins au Faulhorn, où il observa minutieusement le petit glacier du même nom. Le branle était donné, et dès lors il ne s’est plus passé un seul été sans que les recherches de la science aient été poursuivies avec un zèle infatigable sur plusieurs points des régions glaciaires.

Le premier résultat de ces campagnes diverses fut la réunion d’un très grand nombre d’observations précises. On peut dire que lorsque Agassiz bâtit sa cabane sur la moraine du glacier de l’Aar, cette cabane devenue célèbre sous le nom d’Hôtel des Neuchâtelois, les glaciers n’avaient été étudiés qu’en gros. Bientôt des données exactes remplacèrent les notions vagues et générales : on connut la structure de la glace à des hauteurs variées, l’action de la fonte fut mesurée, et l’on eut enfin des chiffres qui permirent de se faire une idée précise du mouvement des glaciers. Ce mouvement varie. Il dépend d’une foule de circonstances. Il est plus faible en hiver qu’en été, plus faible aussi à de grandes hauteurs que dans les régions moyennes, il croît en raison de la masse, il est plus sensible à la surface que dans l’intérieur et vers le centre que sur les bords ; mais il est encore très lent quand il atteint son maximum. Une vitesse de 3 décimètres en un jour est déjà considérable, et il n’y a que peu de glaciers qui cheminent à raison de 100 mètres par an, ce qui suppose presque un demi-siècle pour un trajet d’une lieue suisse. De tous ces faits il ne sortit d’abord aucune idée générale nouvelle. La discussion semblait toujours renfermée entre ces deux termes : glissement ou dilatation. La théorie de la dilatation, soutenue par Agassiz, continuait à avoir le dessus, lorsque l’Anglais Forbes changea tout à coup la face du débat. Forbes prétendit que les glaciers coulaient. Il les comparait à des masses d’argile boueuse, de cire molle ou de lave en fusion. On comprenait alors pourquoi aux plus grands réservoirs de neige correspondent les plus grands glaciers, pourquoi ceux-ci suivent avec une si exacte docilité les contours sinueux du lit qu’ils remplissent, pour quoi le cours en est plus rapide aux endroits resserrés que lorsqu’ils ont de l’espace pour s’élargir, pourquoi ils s’accumulent