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se forme des grottes profondes et spacieuses où l’on peut pénétrer sans danger. Il faut le faire toutes les fois que c’est possible, car c’est là que s’accusent avec le plus de vivacité les étranges contrastes qui font du glacier un objet de surprises et d’étonnemens toujours nouveaux. Ces teintes d’azur, plus suaves que celles du ciel le plus doux, embellissent les arceaux de la grotte ; la lumière qui pénètre par l’ouverture, souvent aussi par quelque fissure transversale, en multiplie les reflets. On ne les voit pas du dehors, comme lorsqu’on se penche au bord des crevasses ; on est entouré, on est baigné de cette lumière idéale, et cependant sur le payé de la grotte roule un torrent épais et sale, de tous les interstices débouchent des flots de boue et de limon. On découvre alors que le glacier repose sur une couche de vase, et que c’est lui-même qui la produit. Il pèse d’un poids énorme sur son lit de rochers, et ne marche qu’avec un frottement continuel, de sorte qu’il broie à la longue et réduit en poudre fine toutes les aspérités. L’eau qui suinte des fissures imbibe cette poussière, qui chemine avec le glacier et fait l’office d’un véritable émeri. Il y reste toujours de petits grains de sable plus durs, quelquefois des cailloux qui, serrés contre la roche, y dessinent de fines stries ou des raies un peu plus fortes. Le glacier ne travaille pas seulement au grand jour en transportant les débris tombés des hauteurs ; il travaille encore dans l’obscurité en polissant le sol qu’il recouvre, en en faisant disparaître les angles et les rugosités. Balayez le pavé d’une de ces grottes, mettez la roche à nu, et vous la trouverez invariablement rabotée, limée, polie. Elle le sera surtout dans les parties qui se relèvent et font obstacle à la marche des glaces. Ce travail de polissage est d’une finesse extrême. Les raies se touchent sans se confondre, et l’on peut suivre la marche de chacun des grains de sable qui ont tracé leur sillon sur la pierre.

Toutes ces boues, après un voyage bien autrement laborieux que celui des blocs qui se font porter, arrivent au jour, et s’entassent à l’extrémité du glacier. Là est aussi le rendez-vous général des moraines qui le couvraient et de celles qui cheminaient sur les bords. Souvent on ne sait où le glacier finit, tant il est couvert de matériaux. On le traverse comme on traverserait les dépôts d’un éboulement. Des plantes peuvent s’y tromper. On trouvera quelques renoncules sur les dernières pentes du glacier de Zmütt, au pied du Cervin. Il est vrai qu’il est chargé entre les plus chargés, et des naturalistes s’y trompent parfois aussi bien que les renoncules Enfin la glace cesse tout à fait, et il ne reste que la grande moraine de front, formée par la réunion de toutes les autres et cimentée par la boue qui s’échappe de dessous le glacier. Elle se déploie en