Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouve à une hauteur de 2,000 mètres environ, et le plus souvent sur des pentes d’où la neige disparaît en été. La coloration en est due à la présence d’une multitude de petits infusoires. Si, au lieu d’être rouges, ces infusoires étaient d’un gris blanchâtre, ou s’ils n’étaient pas assez nombreux pour changer la coloration générale des neiges, est-il bien sûr qu’on les eût remarqués ?

Ces commencemens de vie enfouis dans les neiges ne se révèlent qu’à l’observateur attentif, et pour le touriste en promenade le glacier demeure un champ désert, avec des corps ensevelis à la surface. Malheureusement ce n’est pas à la surface seulement qu’il recèle des cadavres ; il y en a dans l’intérieur, et de plus grands que ceux des insectes ailés. Il les rendra tôt ou tard : tout ce qu’il contient revient au jour une fois ou l’autre. Il n’aime pas la saleté, disent les montagnards[1]. De tous les accidens du glacier, les crevasses sont celui qui frappe le plus. Quand on flâne sur un glacier, on n’en laisse passer aucune sans essayer d’en voir le fond. Quelquefois on peut y descendre, en se dévalant à l’une des extrémités, au point où se rapprochent les parois ; mais si l’on peut descendre dans une crevasse, c’est ordinairement lorsqu’elle est en train de se fermer, et qu’il n’en reste que le vase supérieur. Les belles crevasses sont celles dont on ne voit pas le fond ; les autres ne sont que des hachures vulgaires, plus ou moins colorées en bleu. Seules les crevasses insondables au regard donnent l’idée de ce que peuvent être les reflets à l’intérieur du glacier. Les ténèbres qui règnent dans la profondeur se transforment en un sombre azur qui devient plus lumineux à mesure qu’on approche de la surface, et il est impossible de rien imaginer de plus doux à l’œil que ce passage de la nuit au jour à travers toutes les nuances du bleu le plus pur. A. défaut de sonde, on y jette des pierres apportées à force de bras des moraines les plus voisines. On se penche sur le bord pour voir et pour entendre : on ne voit presque rien, la pierre a bientôt disparu ; mais elle rebondit de parois en parois, et l’on entend distinctement une vibration musicale, qui se communique à toute la masse du glacier. On dirait un orgue immense d’où s’échappe une note sourde et prolongée, funèbre gémissement de ces vastes tombeaux.

Tel est le glacier tranquille ; mais il est rare qu’un glacier

  1. C’est ainsi que tout dernièrement, le 24 septembre 1867, le glacier voisin du Col-du-Mont a rendu les squelettes de trois soldats français, dont le régiment était en garnison à Sainte-Foy en 1794, et qui s’égarèrent dans ces parages lors d’une reconnaissance faite à la frontière, le 5 mai de la même année. Le souvenir de cet accident vit encore dans le pays. Auprès des squelettes, dit-on, existaient encore quelques effets d’équipement.