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En France, on a souvent cru que l’intérêt de la démocratie était que les chambres législatives fussent nombreuses, et que celui du despotisme était qu’elles ne le fussent point. Dans l’état le plus démocratique que nous connaissions, on a toujours été persuadé du contraire. Si en Amérique on a donné pleine carrière à la démocratie au moment de l’élection, on a cherché à en modérer les emportemens au moment de la délibération, et on a voulu que les représentons nommés par la multitude pussent, une fois élus, écouter la voix du bon sens. C’est un des motifs pour lesquels le congrès américain, quoique composé d’hommes passionnés et malgré les scènes violentes qui le troublent, adopte ordinairement des mesures sages, et arrive, après les débats les plus orageux, à des transactions qui révèlent un véritable esprit de modération. Que dans une assemblée de 900 membres on soulève une de ces questions qui mettent les partis aux prises, et aussitôt l’explosion des colères, le tonnerre des interpellations qui se croisent, empêchent de rien comprendre, et le système parlementaire cesse de fonctionner. Que la multitude règne dans les comices, soit, pourvu qu’au moins la raison puisse se faire entendre dans le parlement.

Est-ce au nom des minorités qu’on réclamera une assemblée nombreuse ? Certainement il est à désirer que toutes les opinions, même dans les nuances extrêmes, soient représentées au sein des chambres, afin que toutes se fassent juger au grand jour de la discussion publique, et qu’on puisse connaître les différentes idées qui fermentent dans le pays ; mais il est de l’intérêt des partis et de la nation entière que chaque opinion ait pour organes ceux qui pourront le mieux l’exposer et le plus dignement la défendre. Les minorités auront plus d’influence, représentées par un seul orateur habile, que si elles l’étaient par tout un groupe d’hommes indisciplinés, impatiens, maladroits. Elles pourront au moins, dans une assemblée peu nombreuse, exposer leurs vœux, car un député énergique se fera écouter de deux cents auditeurs, même hostiles ; mais sont-ils neuf cents, les conversations particulières, à défaut même d’interruptions acharnées, suffiront pour réduire à l’impuissance tout orateur importun. En résumé, la prompte expédition des affaires, la nécessité de faire triompher le langage du bon sens sur celui des passions, la bonne police des assemblées, l’intérêt même des minorités et du peuple, toutes ces considérations font une loi de limiter le nombre des élus d’autant plus qu’on augmente le nombre des électeurs dans tout pays qui fonde le régime parlementaire sur des bases démocratiques.