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préparé le triomphe du mouvement unitaire. D’insurmontables obstacles semblaient le rendre impossible ou très éloigné encore : un souffle favorable les a successivement écartés. Fata viam inventent, s’écriait M. de Radowitz dans un de ces éloquens écrits où il, cherchait les moyens de reconstituer l’Allemagne, sans pouvoir les trouver ou sans oser les dire. Il eût sans doute été très étonné de voir ceux que son successeur a mis en œuvre pour arriver au but qu’il avait entrevu. Le résultat aurait-il pu être autre qu’il n’a été ? Les observateurs sagaces[1] croient que l’Autriche devait toujours finir par succomber devant l’entente infaillible des aspirations unitaires de l’Italie et de l’Allemagne. Sans les scrupules du prince régent, ce qui est arrivé en 1866 serait arrivé en 1859. Il s’en faut donc que ce soit le hasard qui ait tout décidé. Il n’était pas possible que l’Allemagne de Luther, de Kant, de Lessing, de Goethe, acceptât la direction de cet empire, qui, livré aux jésuites depuis la guerre de trente ans, avait, sous la main de Metternich, étouffé pendant un demi-siècle dans l’Europe entière toute tentative libérale, et qui venait, par un concordat récent, de sacrifier jusqu’aux lois de Joseph II aux exigences ultramontaines. Certes les amis de la liberté doivent appuyer de leurs vœux les efforts que fait l’Autriche actuelle pour échapper aux influences morbides qu’un long passé d’obscurantisme a fait peser sur elle ; mais l’Autriche qui ne voulait régner en Allemagne que pour asservir la Hongrie et l’Italie, pour tout soumettre à la domination du clergé, ne devait pas, ne pouvait pas triompher. Il est remarquable de voir comment s’écroulent partout les institutions d’ancien régime, et comment échouent les entreprises qui ont pour but de les soutenir. Malheur à ceux qui y mettent la main, tout tourne contre eux ; la fatalité les poursuit et les accable. Tout réussit au contraire à ceux qui marchent dans le sens des idées nouvelles. Celui qui descend le cours d’un fleuve finit toujours par arriver malgré ses fausses manœuvres ; mais celui qui prétend le remonter, dès qu’il se lasse ou gouverne mal, est rejeté en arrière et poussé sur les écueils.

Résumons en quelques mots ce qui précède. Le mouvement unitaire de l’Allemagne a sa source dans les souvenirs de l’ancien empire germanique, dans la communauté de la langue, des mœurs, des aspirations ; il a été préparé par la littérature, la poésie et le travail

  1. Il est intéressant de lire à ce sujet un livre publié avant la guerre par un membre du parlement anglais, M. Grant Duff. Dans ses Studios in European politics, l’œuvre d’un homme d’état parfaitement informé et étonnamment clairvoyant, il arrive à cette conclusion, que par la paix ou par la guerre la Prusse et l’Italie devaient arriver à leurs fins. « Même des victoires signalées de l’Autriche ne pourraient, disait-il, changer le résultat final, parce qu’il est amené par la force des choses. »