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éloquence, il déclara qu’il redoutait bien moins sa puissance que son talent ; puis il reprit en détail le discours qu’il venait d’entendre, en le commentant pour en faire ressortir les beautés. Caligula, ravi d’être si bien apprécié par un si excellent juge, lui rendit son amitié. Dans la suite, Afer, en homme d’esprit qu’il était, comprit bien qu’il devait faire oublier ses débuts et qu’il ne pouvait affermir sa brillante situation que par des moyens opposés à ceux qui l’avaient faite. Après avoir accusé les honnêtes gens, il employa plus d’une fois son talent à les défendre. Le plaidoyer qu’il prononça pour Domitilla était surtout resté célèbre. C’était la femme d’un condamné politique qui, dans un temps où la loi défendait de pleurer ses proches, avait osé ensevelir son mari. Elle était accusée par ses fils, et, à ce qu’il semble, son frère et ses amis avaient pris parti contre elle. Afer, qui plaida sa cause devant le prince, ne la défendit pas comme aurait fait Caton ; il se garda bien d’être véhément et indigné, il ne réclama pas avec énergie au nom des droits de l’humanité ; il chercha plutôt à attendrir les juges. Quintilien a cité avec éloge le passage de cette défense où, s’adressant aux accusateurs de Domitilla, il leur disait : « La malheureuse ignore dans son trouble ce qui est permis à une femme, ce qui est ordonné à une épouse. Je suppose qu’au milieu de ses inquiétudes elle vous rencontre et vous interroge : vous, son frère, vous, ses amis, quel conseil lui donnerez-vous ? » Ce fragment nous montre, à ce qu’il me semble, qu’Afer était encore plus un avocat habile qu’un grand orateur. Son talent reflétait son caractère, et on admirait dans ses discours la même adresse que dans sa conduite. C’est ainsi qu’en se mettant en règle avec tous les partis, en donnant des gages à l’empereur par ses délations, en apaisant à propos les honnêtes gens par quelques velléités d’indépendance, il sut éviter les dangers auxquels exposaient alors la célébrité et la fortune. Il traversa sans encombre la période la plus périlleuse de l’empire, et après avoir conquis sa réputation à la cour de Tibère, il mourut de vieillesse sous Néron[1].

Afer était un classique. Avec son débit lent et grave, ses phrases harmonieuses, dans lesquelles il avait soin de glisser de temps en temps quelques mots qui rompaient la mesure pour dissimuler son artifice, il rappelait Pollion ou Messala, les meilleurs élèves de Cicéron. Il y avait alors une autre école, plus vivante parce qu’elle était plus jeune et qui répondait mieux au caractère du temps. Elle affectait de s’éloigner des traditions de l’éloquence ancienne :

  1. J’ai tort de dire qu’il mourut de vieillesse : il était en effet très vieux alors ; mais saint Jérôme nous apprend qu’il mourut d’une indigestion.