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pourrait-on amener le roi Guillaume à s’allier avec le roi Victor-Emmanuel pour attaquer l’Autriche, lui qui en 1859 avait été à la veille de s’allier à l’Autriche pour combattre Victor-Emmanuel ? Il était une autre difficulté bien plus menaçante. Quelle attitude prendraient les gouvernemens étrangers quand ils verraient renverser l’ancienne diète pour y substituer un lien fédéral plus étroit ? En 1847, la Suisse, ayant entrepris une réforme du même genre, fut menacée d’une intervention européenne dirigée par la France libérale. En 1848, la France républicaine refusa de recevoir l’envoyé du parlement unitaire de Francfort. Enfin en 1850 et en 1851 la France et surtout la Russie s’opposèrent énergiquement à toutes les tentatives, tant de la Prusse que de l’Autriche, ayant pour but de concentrer les forces de l’Allemagne sous une direction unique. Pouvait-on espérer que désormais elles se montreraient favorables ou du moins indifférentes à un changement qu’elles avaient toujours combattu ? La seule puissance dont on n’avait pas à craindre l’opposition était l’Angleterre, et c’était précisément celle-là dont il allait falloir provoquer les ressentimens et la colère, car, pour acquérir en Allemagne la popularité indispensable à l’exécution de ses projets, la Prusse était conduite à arracher violemment le Slesvig-Holstein au Danemark, à qui l’Angleterre avait promis sa protection. Il est curieux de voir comment M. de Bismarck parvint à naviguer au milieu de tous ces écueils, dont le moindre semblait menacer d’une perte certaine la barque qu’il dirigeait. On reconnaît les procédés de Frédéric II : nul respect incommode pour les traités conclus ou les affirmations récentes, les procédés révolutionnaires mis au service du principe monarchique, une vue claire, une appréciation juste de la situation, une exécution rapide et violente des décisions prises, ne jamais attendre que les difficultés s’amoncellent, mais les dénouer ou les balayer en marchant dessus et en prenant l’initiative de l’attaque, beaucoup de perspicacité et d’audace, peu de scrupules et point d’hésitations, précisément ce qu’il faut pour réussir au milieu d’hommes d’état qui ne prévoient guère, ignorent ce qu’ils veulent et par suite hésitent toujours.

Le point principal était d’obtenir que la France tolérât l’hégémonie prussienne et l’unité allemande. M. de Bismarck avait