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on les appelait tout simplement les territoires de la Compagnie de la baie d’Hudson à l’ouest des Montagnes-Rocheuses ; aujourd’hui elles se prétendent les rivales de la puissance américaine dans le Pacifique. L’île de Vancouver, qui s’étend en face du continent américain sur une longueur de plus de cent lieues, colonie sans colons, d’une fertilité médiocre et d’un climat maussade, possède en revanche Port-Esquimalt, le plus beau port du Pacifique pour les navires d’un grand tirant d’eau, et la ville de Victoria, qui doit à la franchise de son port, situé en face de l’embouchure du Frazer, et à l’extrême difficulté de traverser la barre de ce fleuve, d’être devenue l’entrepôt commercial de la Colombie anglaise. A l’avantage d’être le chef-lieu d’une station navale et l’entrepôt d’une grande colonie, l’île de Vancouver joint un privilège naturel : elle contient des mines de charbon de terre d’une qualité médiocre, mais d’une importance considérable, car presque tous les charbons consommés dans le Pacifique viennent d’Europe et ont dû doubler le cap Horn. Vancouver est donc une position militaire et commerciale agressive à l’égard des États-Unis et défensive en ce qui touche la Colombie anglaise. Pendant l’hiver, quand les mineurs descendent du Cariboo, Victoria devient une ville de mineurs. Pendant l’été, c’est une ville coloniale comme toutes les villes coloniales anglaises, mais, dès qu’on a franchi la barre du Frazer, on entre dans un monde différent. Ce qui a fait sortir ce pays de son obscurité, c’est la découverte de sables aurifères dans le Frazer, c’est surtout celle d’un gisement aurifère au Cariboo, plus riche qu’aucun de ceux de la Californie. À cette nouvelle, des masses de mineurs californiens se sont précipités sur la Colombie anglaise. Sur les bords du Frazer, tout est californien, mœurs, costume, langage. On y parle cet argot des mines qui a eu l’honneur de supplanter dans les salons de l’Angleterre l’argot des courses. Là comme en Californie, ce qui blesse, c’est le contraste entre la beauté des machines et la dégradation des hommes, entre la rudesse et la prodigalité. On couche sur la terre nue, on est couvert de vêtemens sordides, et l’on jouera aux quilles avec des bouteilles de vin de Champagne pour s’amuser à voir la liqueur se répandre inutilement à terre. Une seule chose relève de l’abjection. L’ivresse de l’or donne à ces hommes une intrépidité qui en ferait des héros, si trop souvent elle n’étouffait tous les sentimens généreux. Il y a toutefois des différences entre la Colombie anglaise et la Californie. Tandis que dans ce dernier pays la colonisation agricole a marché de front avec l’exploitation des terrains aurifères, ici le travail des mines emploie tous les bras. Les vivres qui se consomment au Cariboo viennent de l’Oregon et de San-Francisco, et l’or qu’on en retire, après la dîme prélevée par les détaillans, tombe dans les coffres