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et ne peuvent gravir la rive opposée. Un sentiment chevaleresque s’empare de l’Assiniboine : il arrive au secours, dépêtre les chevaux, et prend de nouveau la tête de la troupe. Le jour suivant, avec la sagacité d’un demi-sang canadien, il découvre des traces de la présence de l’homme ; l’année précédente, des bouts de branches ont été coupés au couteau. Bientôt c’est un sentier, un sentier véritable ; il semble disparaître, on le retrouve. La forêt s’ouvre, elle fait place à une prairie, et tous se jettent à terre pour regarder le soleil et respirer à l’aise. Le sentier devient plus frayé ; on distingue des pas de chevaux, et le vingt-quatrième jour quelques Indiens se présentent. On leur fait comprendre par signes qu’on a faim : ils apportent des pommes de terre qu’on mange d’abord crues. On donne ce que l’on a pour avoir des vivres : lord Milton sa selle, le vieux professeur son gilet, Mme Assiniboine, sa chemise. Le mot Kamloop leur est connu ; un Indien marche rapidement et se couche quatre fois pour indiquer qu’on est à quatre journées de Kamloop. Avec l’aide des Indiens, on passe le Thompson, on arrive au fort ; on est accueilli par les agens de la compagnie, on mange, on se repose, on se lave et on s’habille. Il y avait cinquante-quatre jours qu’on était parti de Jasper-House, trente-huit qu’on avait quitté la Cache de la Tête jaune ; pendant vingt-quatre jours, on avait erré dans la forêt sans aucun sentier pour diriger sa marche.

Si on avait laissé la disette à la maison Jasper, on trouva l’abondance au fort Kamloop. L’habile Compagnie de la baie d’Hudson, à la nouvelle de la découverte de mines d’or dan, la Colombie anglaise, comprit que de toutes les spéculations la meilleure serait de fournir des vivres et des moyens de transport aux mineurs, et elle profita des prairies qui entourent Kamloop pour y entretenir d’immenses troupeaux de chevaux et de bœufs. D’ailleurs ce qui fait l’éloignement, c’est la distance de la mer : à l’est des Montagnes-Rocheuses, les derniers forts de la Compagnie de la baie d’Hudson sont à plus de 1,000 lieues de l’Atlantique ; à l’ouest de ces mêmes montagnes, Kamloop n’est qu’à 80 lieues du Pacifique, et touche presque à la grande communication fluviale de la Colombie anglaise, le Bas-Frazer. On va en quelques jours à cheval, par une route à moitié faite et à moitié en cours d’exécution, de Kamloop à Yale, petite ville charmante sur le Frazer, qui est le point de départ des bateaux à vapeur, et où l’on arrive en traversant la rivière sur un pont en fil de fer. Un bateau vous conduit dans la journée de Yale à New- Westminster, capitale nominale de la Colombie anglaise. Le lendemain, si vous le voulez, un autre bateau à vapeur vous conduira de New-Westminster à Port-Esquimalt et à Victoria dans l’île de Vancouver, c’est-à-dire au chef-lieu de la