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cette sorte de calligraphie pittoresque. Qu’est-il besoin d’ailleurs de plaider plus au long la cause de la gravure ? Les œuvres des mai très seront à cet égard plus convaincantes que toutes les dissertations, et c’est à elles qu’il convient de laisser la parole. Aussi bien le moment est-il venu pour nous de recueillir les enseignemens qui ressortent de notre sujet et de résumer la pensée de cette étude. En écrivant, à propos de la Grammaire des arts du dessin, les pages qui précèdent, nous n’avons pas entendu seulement louer un livre excellent et en recommander la lecture aux hommes du monde ; nous avons voulu encore appeler sur ce livre l’attention des artistes eux-mêmes et les exhorter à un genre d’étude pour lequel ils n’ont trop souvent qu’un éloignement préconçu ou une paresseuse indifférence. Il faut bien le dire en effet, les plus sceptiques, les plus ignorans même en matière esthétique, ne sont pas toujours ceux qui n’ont tenu vde leur vie un ébauchoir ou un pinceau. La simple possession des secrets du métier n’est pas une garantie de science véritable, encore moins de croyances philosophiques, et plus d’un aujourd’hui parmi les praticiens les plus habiles serait assez empêché peut-être s’il lui fallait définir sa doctrine ou confesser sa foi. Certes on ne saurait imposer à un sculpteur ou à un peintre l’obligation de discourir sur l’art comme un théoricien de profession, et de donner à tous venans les raisons de ce qu’il fait ou de ce qu’ont fait les autres ; mais sera-t-on mal fondé à exiger de lui qu’il se rende au moins quelque compte des principes qu’il a la mission d’appliquer, et que, au lieu d’exercer son art par pur empirisme, il en pratique les lois morales à aussi bon escient que les conditions techniques ? »

il ne s’agit ni de condamner à l’immobilité les écoles modernes, — ce qui serait une tentative aussi vaine que de prétendre supprimer leur passé, — ni de contester au génie, au talent même, son libre arbitre et ses privilèges. Il s’agit uniquement de rappeler à la mémoire des uns, de définir pour l’instruction des autres certains devoirs qui obligent tout le monde, certains principes au-dessus des plus hardies entreprises ou des variations du goût. La fidélité au vrai n’est pas la routine, la force qui se recueille et qui calcule n’a rien de commun avec l’inertie. Ceux qui ne voient dans l’art qu’une occasion d’innovations perpétuelles, ceux qui croient que le beau se devine et s’invente par la seule vertu des instincts personnels, ou qu’il varie en raison des mœurs de chaque époque, ceux-là se méprennent sur la fonction de l’artiste, comme ils s’exagèrent d’indépendance de ses inspirations.

Rien ne sort de rien, et il n’est pas arrivé encore qu’un grand artiste ait surgi au milieu d’un peuple barbare ou dans une atmosphère vide de traditions. Si puissans novateurs qu’ils fussent,