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l’expression avec la beauté, soit en figurant formellement celle-ci en regard des types contraires, soit en idéalisant par le style ces types dégradés et en retrouvant ainsi les principes de l’harmonie jusque dans les témoignages du désordre.

Qu’est-ce donc que le style dans l’acception générale et absolue du mot ? Comment ce qui distingue une manière, ce qui est le cachet de tel ou tel homme, peut-il devenir un symptôme commun, un signe de ralliement pour toute sorte de talens ou de travaux ? Chaque grand peintre, il est vrai, a un style qui lui est propre ; en d’autres termes, il imprime à ses œuvres un caractère conforme à son caractère personnel, aux aptitudes ou aux prédilections de son génie. Ne saurait-on pourtant, sous l’extrême diversité des formes d’expression, démêler une certaine unité de principes, un certain accord instinctif entre tous les peintres de haute race ? Que l’on se figure le même modèle posant devant vingt maîtres différens ou le même site reproduit par les paysagistes français et hollandais du XVIIe siècle : toutes les œuvres peintes d’après ce modèle lui ressembleront sans pour cela se ressembler entre elles, parce que chaque peintre aura interprété la réalité dans le sens de ses propres préférences, et fait prévaloir, volontairement ou non, une vérité d’un certain ordre. L’épanouissement de la vie dont Titien sera touché à l’exclusion du reste et qu’il rendra avec une joyeuse animation, Corrège ne l’apercevra qu’à travers le voile d’une grâce mélancolique, tandis que Michel-Ange y verra l’enveloppe héroïque de la passion ou de la douleur. Là où Poussin et Claude le Lorrain trouveront une occasion d’exprimer par les lignes et par le ton la majesté sereine de la nature, Ruisdaël donnera carrière à ses sombres instincts de dessinateur et de coloriste. Partout l’empreinte d’un sentiment individuel, d’une manière particulière d’envisager les choses ; partout cependant le même besoin d’accentuer ou d’ennoblir le fait, et un caractère commun, la grandeur.

Le style n’est autre chose que cette révision par l’art des objets naturels. S’il était permis, pour le définir, d’employer des mots à peu près contradictoires, on dirait qu’il s’enrichit en raison même des détails qu’il supprime, comme en parant la réalité il la rend à la fois plus simple et plus intelligible. Un portrait obtenu mécaniquement est sans style, ressemble mal au modèle, parce que les traits caractéristiques sur lesquels l’art aurait appuyé sont ici acceptés et reproduits au même titre que les moindres accidens du moment ; un portrait peint par Flandrin ou par M. Lehmann a du style, parce qu’il résulte d’une comparaison judicieuse entre les vérités principalement dignes de la lumière et les vérités infimes ou secondaires qu’il convenait d’omettre ou de voiler. Le style ne