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choses dont on n’admire pas les originaux, » il confondait apparemment la copie brute avec l’image. Les modèles fournis par la nature ne s’imposent pas si despotiquement au pinceau qu’il lui soit interdit d’en interpréter l’aspect et d’en dégager l’esprit. C’est là au contraire le plus beau de sa tâche et son devoir principal ; c’est là ce qui fait de la peinture un art, tandis que la photographie n’en est pas un. En imitant tout, la photographie n’exprime rien.

La peinture n’a donc pas pour objet unique, ainsi qu’on l’a dit souvent, l’imitation de la nature. Elle tend à exprimer l’âme humaine au moyen de la nature imitée, et, dans la représentation d’un paysage comme dans la composition d’un tableau d’histoire, à nous révéler ce que l’artiste a senti à propos du fait, au moins autant que l’apparence matérielle de ce fait. « La peinture, dit M. Couder avec la double autorité que lui donnent son talent de peintre et son expérience, est un adroit mensonge ; elle est suffisamment vraie dès qu’elle semble dire la vérité, car l’illusion n’est point le véritable but de l’art. A l’aspect d’un tableau, ignore-t-on que c’est l’œuvre de l’artiste que l’on considère ? »

Suit-il de là que, pour être plus sûrement expressive, la peinture ait le droit de s’insurger contre la réalité et de sacrifier aux franchises du sentiment personnel non-seulement le beau, mais le vrai lui-même ? Autant vaudrait admettre en littérature la légitimité d’un langage tout arbitraire. A quoi bon insister au surplus ? Personne sans doute ne trouverait aujourd’hui une définition suffisante de la peinture dans ce seul mot « imitation, » et ne consentirait à confondre ainsi le moyen avec le but, comme cela pouvait avoir lieu au XVIIIe siècle sous l’influence de Le Batteux ou de tel autre théoricien de cette force ; mais personne non plus, je suppose, ne sera tenté de réhabiliter l’idéalisme compris et pratiqué à la façon du chevalier d’Arpin. Reste à rencontrer le juste point entre ces doctrines extrêmes et à se former une opinion moyenne qui, sans demander trop peu à l’art, sans exiger de lui plus qu’il ne peut donner, n’entre en complicité ni avec le matérialisme pittoresque, quelles qu’en soient les formes, ni avec les exagérations spiritualistes, de quelque semblant de noblesse qu’elles prétendent se décorer.

En attribuant tout à l’heure à l’expression une importance principale dans les moyens dont le pinceau dispose, nous n’avons pas voulu dire pour cela qu’elle dût prévaloir absolument sur le reste. Bien que la peinture soit l’art expressif par excellence et que même les disgrâces physiques lui appartiennent parce qu’elle sait y trouver, ne fût-ce que par le contraste, les élémens d’un effet décisif, elle ne demeure pas confinée dans le caractère, c’est-à-dire dans la représentation exclusive des phénomènes individuels. Elle peut s’élèvera une vérité plus haute et plus générale, elle peut concilier