Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rétablir dans ce désordre un semblant d’équilibre par la multiplicité même des caprices et l’égale profusion des détails.

Objectera-t-on, comme une garantie contre de sérieux dangers, l’érudition dont les architectes font preuve en n’employant le plus souvent dans leurs propres travaux que des élémens consacrés par les âges ou par les écoles qui se sont succédé ? Jamais, il est vrai, on n’a mieux connu que de notre temps les divers monumens du passé ; jamais on n’a consenti de meilleure grâce à en imiter les formes, à reproduire, même côte à côte, les types particuliers à chaque époque ; mais on ne fait ainsi qu’emprunter à l’art ancien l’extérieur de ses ressources, au lieu de le continuer dans ses traditions essentielles et dans son esprit. Quoi de plus opportun dès lors, pour seconder l’action des maîtres qui nous restent ou pour préparer les voies aux maîtres futurs, qu’un ensemble de réflexions et de conseils publics sur le véritable caractère de ces traditions, sur l’influence qu’il leur appartient d’exercer en dehors et au-dessus de l’archéologie proprement dite ? Tel est le genre d’enseignement que contient la Grammaire des arts du dessin, tels sont les mérites qui lui assignent une place à part entre les écrits strictement historiques et les ouvrages de pure théorie. En consacrant à l’architecture une partie considérable de son livre, M. Charles Blanc n’a entendu ni enregistrer les événemens de l’art dans la simple succession chronologique, ni supprimer au contraire les leçons de l’histoire pour ne formuler qu’un système. Il a estimé plus intéressant et plus utile de rappeler les faits en regard des principes, de confirmer chaque proposition énoncée par des exemples qui en démontrassent l’autorité séculaire aussi bien que l’orthodoxie esthétique. En un mot, dans cette Grammaire des arts du dessin, on trouve mieux qu’une aride syntaxe, et la manière dont les règles y sont présentées nous semble à la fois trop animée et trop persuasive pour ne pas les accréditer sûrement auprès du public. Quand nous serons bien convaincus que l’architecture est de tous les arts celui dont on peut le mieux juger avec les seules lumières de la raison, parce qu’il a lui-même dans la raison sa source et son moyen d’expression principal ; quand nous aurons une bonne fois reconnu qu’au lieu d’être un vain décor pour les yeux ou un logogripbe pour l’esprit, un édifice doit, jusque dans la somptuosité, traduire des intentions claires, conformes aux données premières de la construction comme aux caractères de sa destination spéciale, — peut-être les inventions vides de sens ou les imitations emphatiques cesseront-elles d’usurper la place où notre tolérance désintéressée leur permet de se multiplier aujourd’hui.

Cette espèce de superstition qui nous porte, faute d’initiation ou d’étude, à nous récuser dans les questions relatives à l’architecture