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justesse des rapports entre les exigences de la construction et les moyens décoratifs employés. Voilà pourquoi les Grecs, qui ne donnaient rien au hasard, qui, soumettant tout au contrôle d’une raison exquise, entendaient indiquer la solidité réelle par la solidité apparente et accuser l’ossature d’un édifice jusque dans la disposition des ornemens, — voilà pourquoi les Grecs sont restés dans l’histoire de l’art les maîtres souverains. L’architecture grecque n’est pas seulement la plus belle que l’humanité ait connue, elle est aussi la plus sensée et la plus sage, ou plutôt c’est à cette sagesse ayant tout qu’elle doit la prééminence sur l’art des autres pays et des autres époques.

Faut-il pour cela renoncer à admirer, la majesté robuste ou la magnificence des monumens romains, l’abondance et la poésie des idées que révèlent les églises du moyen âge, les innovations hardies ou les délicatesses introduites dans l’architecture italienne au temps de la renaissance et un peu plus tard dans l’architecture française ? Ce que nous voulons dire seulement, c’est que les successeurs des Grecs, là même où ils employaient les formes que les Grecs avaient découvertes, ne procédaient plus avec cette rigueur dans l’application des principes, avec cette exactitude dans les déductions qui caractérisent l’art d’Ictinus et de Mnésiclès. A plus forte raison, lorsqu’ils inventèrent à leur tour, leur arriva-t-il trop souvent d’élargir jusqu’à l’abus la part de l’imagination et de la fantaisie. C’est peu pour l’art romain de dénaturer l’ordre dorique et l’ordre ionique, ou de revêtir un édifice d’ordres différens superposés, — « altération essentielle, fait observer M. Charles Blanc, puisque l’entre-colonnement, étant un des principaux moyens d’expression dans chaque ordre, ne saurait convenir à l’un sans mentir à la signification de l’autre ; » — il faut encore que, par un singulier caprice, on en vienne, à Rome, à mélanger des procédés architectoniques inconciliables, l’arc et la plate-bande, le pied-droit et la colonne, en d’autres termes à rapprocher deux supports de nature différente pour soutenir le même fardeau.

En dehors de l’antiquité romaine, à des époques plus rapprochées de nous, que de déviations et d’anomalies ne pourrait-on pas signaler ! Que d’étranges démentis au bon goût hellénique sinon au bon sens universel ! Voici d’abord, durant la période dite byzantine, la colonne torse, qui n’aboutit qu’à prêter une forme contour née et fléchissante à ce qui doit être l’image de la solidité ; plus tard, avec la renaissance, les frontons brisés, les frontons courbe inscrits dans le tympan d’un fronton triangulaire, — nombre d’autres fantaisies encore rachetées en partie par la hardiesse ou l’élégance de la mise en œuvre, mais assurément défectueuses au point de vue de l’invention, et, tranchons le mot, foncièrement absurdes.