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mensonge formel, elle implique à l’égard des vérités brutes ou muettes la même réprobation et les mêmes dédains.

Il semblerait dès lors tout naturel que des préférences ou des inclinations aussi générales eussent trouvé leur expression dans une série de considérations écrites et de préceptes. Rien de pareil néanmoins. En matière pittoresque, c’est seulement à l’étude immédiate des monumens que les curieux et les amateurs ont dû jusqu’ici avoir recours pour pressentir des règles et démêler des traditions. Aucun livre français, j’entends aucun traité vraiment instructif, n’était venu avant l’époque où nous sommes fournir au public un ensemble d’informations théoriques, et c’est à peine si l’on pouvait, sur quelques questions partielles, puiser des notions plus ou moins sûres dans les divers ouvrages de l’abbé Laugier, de Falconet, d’Émeric David et de Quatremère ou dans les articles de l’Encyclopédie. Depuis une trentaine d’années, il est vrai, la critique d’art a acquis en France une importance considérable, une autorité toute nouvelle. Les beaux travaux de M. Vitet, de Gustave Planche et de plusieurs autres écrivains ont assez élevé les points de vue, assez élargi le cercle des enseignemens pour que ces jugemens sur des œuvres et des talens déterminés dussent tourner en réalité au profit des doctrines générales. Toujours est-il que, malgré la certitude et la justesse des opinions émises sur certains artistes ou sur certains faits, il ne pouvait y avoir là encore sous le rapport théorique qu’une influence et des avertissemens indirects.

L’ouvrage récemment publié par M. Charles Blanc sous le titre de Grammaire des arts du dessin est le premier que dans notre langue on ait composé sur la matière ; c’est un traité complet, écrit avec la précision et l’autorité que donne la pleine possession d’un sujet, c’est un livre dans la plus sérieuse acception du mot. La précision, voilà, dans le fond comme dans la forme, le caractère du livre de M. Charles Blanc ; c’est là ce qui en rendra la lecture profitable à tout le monde, depuis les artistes, auxquels cette Grammaire procurera au moins le plaisir de retrouver à l’état de définitions bon nombre d’idées dont ils n’avaient peut-être que le pressentiment instinctif, jusqu’aux hommes simplement en humeur de s’instruire, jusqu’aux « honnêtes gens, » comme on aurait dit au XVIIe siècle. En fournissant pour la première fois des notions exactes sur les questions d’esthétique, la Grammaire des arts du dessin met chacun de nous en mesure d’ajouter un complément nécessaire à ses études classiques et d’achever en ce sens ses humanités.

Il semble d’ailleurs qu’on sente assez généralement aujourd’hui le besoin de suppléer au silence que gardent sur de pareilles questions l’enseignement public et les livres de philosophie eux-mêmes,