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empoisonnés, 4 hommes, 2 femmes. — Chose horrible à penser, dans Paris, dans ce Paris où l’argent roule à flots, 3 hommes sont morts pendant cette même année, l’un de misère, l’autre de froid, le dernier d’inanition. Parmi les suicides reconnus, on a constaté qu’il y avait 48 célibataires, 19 veufs et 62 hommes mariés.

Les mois les plus fertiles pour cette lamentable récolte sont juin et juillet : 73 et 74 ; c’est le moment où l’on se baigne, où l’on fait des parties de canot, où, il faut bien le reconnaître aussi, le soleil échauffant les têtes détermine souvent des congestions cérébrales et des accès d’aliénation. Les premières effluves du printemps sont troublantes et malsaines, la sève monte aux arbres, la vie nerveuse envahit le cerveau, et le mois d’avril donne un contingent de 58 morts ; décembre, où l’on attend avec espérance la nouvelle année qui s’approche, janvier, qui est un mois de charité, de bienfaisance et de cadeaux, tombent à 38 et à 37. Les départemens et la banlieue sont représentés les premiers par 19 cadavres, la seconde par 31. Paris lui-même est fort inégal, et selon ses zones diverses il fournit à cette sinistre statistique des élémens différens. Trois arrondissemens ont eu en 1866 chacun 33 de leurs habitans exposés à la Morgue ; ce sont le quatrième, qui va du boulevard Sébastopol à la place de la Bastille ; le cinquième, qui comprend les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Marceau ; le dix-neuvième, où est située la Petite-Villette. Vient ensuite le douzième, quartier de la Grand’-Pinte, qui donne 30 ; aussitôt après on retombe beaucoup plus bas et l’on arrive enfin au treizième, qui, peuplé des petits rentiers, paisibles, prudens et rangés de Passy, n’a envoyé que deux corps à la funèbre logette de la Cité.

Ce chiffre de 733 morts apportés à la Morgue pendant l’année 1866 paraît d’autant plus considérable que le total de 1848, malgré la révolution de février, malgré l’insurrection de juin, n’a été que de 631 ; mais, sans aucun doute, il serait bien plus excessif encore, si la préfecture de police[1], par ses encouragemens, ses notes publiques et officielles, ses récompenses, ses médailles, n’excitait sans cesse une précieuse émulation parmi les hommes que leur métier attache plus particulièrement aux bords de la Seine et des canaux. Pour tout cadavre repêché, elle donne une prime de 15 fr., et une prime de 25 fr. pour tout individu sauvé. Ainsi les 310 noyés qui en 1866 ont été transportés à la Morgue ont coûté 4,650 fr. à

  1. Les précautions prises par la préfecture de police pour assurer la sécurité de la rivière ont été plus minutieuses encore cette année ; ainsi l’ordonnance du 15 mai 1867 interdit absolument les pleine-eau, que le nombre de bateaux à vapeur mis en circulation pour les besoins de l’exposition universelle aurait certainement rendues dangereuses.