Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de près. Il y avait autrefois à Paris des ravageurs qui s’en allaient dans les rues, fouillant le ruisseau avec une latte, déchaussant les pavés et recueillant les clous échappés aux fers des chevaux. Repoussés de la ville, ils se sont réfugiés sur les berges ; comme les orpailleurs de l’Ariège et du Rhin, ils cherchent l’or et l’argent, mais ils aiment à trouver l’or façonné en monnaie et l’argent sous forme de cuiller. Les ravageurs connaissent parfaitement les endroits où les tombereaux de la municipalité viennent jeter les neiges pendant l’hiver. C’est là, aux dix-huit emplacemens fixés par l’autorité compétente, sur les bords encore couverts par les amas de neige boueuse qu’on a laissé tomber du haut des quais, qu’ils s’établissent avec leur sébile, semblables aux laveurs de pépites du Sacramento, et finissent quelquefois par découvrir au milieu des immondices une piécette blanche, un bijou perdu, un porte-monnaie suffisamment garni. Ces aubaines-là sont, il faut le croire, moins rares qu’on ne l’imagine, car il y a des gens de rivière qui, à Paris et pendant l’hiver, ne vivent que de cet inconcevable métier. A côté des ravageurs, il faut placer les tafouilleux ; ceux-là sont les chiffonniers de la Seine, ils sont aux aguets sur les berges, examinant le courant d’un œil exercé, ramassant la bûche arrachée au train, la pomme tombée du bateau, la serviette ou le bas emporté du lavoir, la canne de ligne échappée de la main d’un pêcheur malhabile, le chapeau que le vent a jeté à la rivière ; tout leur est bon, tout leur est une proie et un profit. Enfin viennent les carapatas. Tous les noms qui précèdent sont faciles à comprendre et s’expliquent d’eux-mêmes en se décomposant ; mais ce dernier est au moins singulier par son origine. Quel bohème ayant traversé la Turquie l’a rapporté parmi nous et en a fait une désignation que les statistiques officielles n’ont pas dédaigné de recueillir ? Kara, noir ; batte, canard. Jamais appellation n’a été mieux appropriée à des gens qui barbotent et pataugent tout le jour le long de la Seine ou du canal Saint-Martin, halant les petits bateaux qui franchissent les écluses, offrant tout service, acceptant toute rémunération, aidant à déchirer les vieilles toues, à tirer le bois flotté, à rouler les tonneaux d’ocre venus de Bourgogne, touchant à tous les métiers et n’en sachant aucun. Quand le carapatas n’est pas ivre, on peut crier miracle. Où couche-t-il ? Dans les bateaux abandonnés, sous la table des cabarets, le plus souvent au poste. Son nom est devenu un terme de mépris, et c’est faire injure à un homme des ports que de lui dire : Tu n’es bon qu’à carapater.

Tout ce personnel, tous ces bateaux dont je viens de parler appartiennent aux industries mobiles du fleuve : la Seine a aussi ses industries sédentaires, qui sont les bains et les lavoirs. Autrefois le Parisien, moins pudique qu’aujourd’hui, se mettait tout simplement