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vers l’ouest, s’étendait l’île aux Juifs, l’île aux Treilles, où furent brûlés le grand-maître Jacques Molay et Guy, commandeur de Normandie ; au-delà, c’était l’îlot de la Gourdaine ou l’île au Moulin-Buci. En 1578, Henri III réunit les trois îles en une seule au moment où il faisait commencer la construction du Pont-Neuf. Henri IV donna tout cet emplacement au chancelier de Harlay à la charge de le couvrir de maisons bâties sur un plan indiqué par Sully ; l’île aux Juifs est maintenant la place Dauphine et l’île de la Gourdaine est le terre-plein sur lequel s’élève la statue d’Henri IV. L’île du Louvre était un simple banc de sable qui a été détruit vers la fin du XVIIe siècle, lorsqu’on construisit le port Saint-Nicolas ; l’île de Seine était séparée de la Grenouillère moins par un bras de rivière que par un marécage peuplé de batraciens ; elle avait une quinzaine d’arpens de longueur et contenait des oseraies ; en 1645, à l’aide d’un barrage en amont, on dessécha le fossé boueux, et l’île disparut. L’île des Cygnes, où s’élèvent aujourd’hui la manufacture des tabacs et le Garde-Meuble, n’a été jointe à la rive gauche que depuis 1820. Son premier nom était fort irrévérencieux ; elle doit le second aux cygnes que Louis XIV avait fait mettre sur la Seine en 1676, et qui allaient chercher un refuge et déposer leurs couvées dans les roseaux dont l’île était entourée ; elle servit de point de mire à bien des faiseurs de projets, et en 1785 un architecte nommé Poyet proposa d’y bâtir un nouvel Hôtel-Dieu qui aurait eu exactement la forme du Colisée de Rome. Son mémoire, accompagné de plans, est extrêmement curieux à parcourir et montre un homme qui avait des idées aussi grandioses que pratiques[1].

L’annexion de la banlieue a fait entrer une île nouvelle dans Paris ; est-ce bien une île ? A la voir, on en pourrait douter : elle ressemble à une étroite jetée qui prolonge la pile médiane du pont de Grenelle ; on la nomme l’allée des Cygnes : elle ne porte aucune habitation ; mais elle est le paradis des pêcheurs à la ligne. Sur ses berges verdoyantes, ils se réunissent attentifs et silencieux ; c’est le petit bras de la Seine où ne passent pas les bateaux à vapeur qui est le théâtre de leurs exploits ; l’ablette abonde, le goujon donne, et parfois même on a la chance d’enlever un barbillon, à la grande jalousie des concurrens voisins.

Il faut aussi parler des ponts, car ils appartiennent à la Seine,

  1. Mémoire sur la nécessité de transférer et reconstruire l’Hôtel-Dieu de Paris, etc., par le sieur Poyet, architecte et contrôleur des bâtimens de la ville (1785). Ce projet n’était point nouveau, car Barbier (Chronique de la régence et du règne de Louis : XV), après avoir raconté l’incendie qui détruisit une partie de l’Hôtel-Dieu au mois, d’août 1737, ajoute : « Le public souhaiteroit fort que cet accident donnât lieu à ôter l’Hôtel-Dieu du milieu de Paris pour le transporter dans l’Ile M…, au-dessus des Invalides, attendu que la quantité d’ordures qui sortent de cet hôpital par une lessive continuelle doit corrompre l’eau que l’on puise au-dessous pour boire dans tout Paris. »