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main-d’œuvre beaucoup moins chère qu’en Angleterre et en France, et les prix de revient y sont inférieurs aux nôtres. Ce sont là pour le moment deux obstacles difficiles à surmonter. Restent l’art, le style, le goût, et nous faisons les affaires de nos voisins en les conviant à venir en surprendre chez nous les secrets. Est-ce bien là le but des expositions ? Sont-elles faites pour que les peuples se mesurent entre eux, s’enlèvent mutuellement leurs procédés nouveaux ? ou plutôt ne sont-elles pas uniquement destinées à faire connaître et vendre les produits ? Les grandes foires d’autrefois remplissaient parfaitement ces conditions, et permettaient la vente immédiate, qui n’est pas à dédaigner. C’est donc, croyons-nous, à l’ancien système commercial des foires, telles que celles de Beaucaire, de Leipzig, de Nijni-Novgorod, qu’on sera logiquement conduit à revenir quand cette mode des expositions universelles sera passée. Les foires ont la plupart des avantages de ces dernières, et en même temps elles échappent à des inconvéniens et à des dépenses qui tiennent au caractère même des concours officiels.

C’est à la France de profiter de la grande exhibition de 1867 pour inaugurer ce régime des foires en organisant un marché continu et libre où viendront aboutir les fabrications du monde entier. On voit par le succès de cette exposition et la secousse qu’elle a donnée au commerce l’importance qu’il y aurait à ne pas arrêter tout à coup cette force d’impulsion. L’œuvre, selon nous, n’est que commencée ; il faut songer à continuer ce mouvement d’attraction vers Paris et empêcher la réaction qui pourrait résulter d’un trop brusque arrêt. Le courant est établi au profit de la France, qui s’y prête par sa position géographique ; continuons-le, soutenons-le énergiquement, et nous deviendrons l’entrepôt du monde. Avec les chemins de fer et les bateaux à vapeur, il sera plus facile aux Chinois et aux Tartares de venir planter leur tente à Paris que de se rendre à travers leurs steppes à la foire de Novgorod. A quoi serviraient les nouveaux moyens de s’entendre et de se connaître, si on ne les appliquait à ce qui importe le plus, les rapports industriels des nations. N’est-ce pas à nous que revient ce rôle civilisateur ? Quel pays, quelle ville, se trouvent en pareille position pour devenir le lac central de tous les affluens commerciaux ? Quel moment plus propice peut-on espérer pour la réalisation de cette idée ? C’est ainsi que l’exposition universelle de 1867, si elle est continuée, agrandie, transformée, peut acquérir une importance sans pareille et donner à la France d’incalculables résultats.


ADALBERT DE BEAUMONT.