Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureuse. Hommes, femmes et enfans vivent sans fatigue et sans peine du produit de la soie, sans souci de l’existence, dirions-nous, si le terrible tremblement de terre de 1854 n’était venu leur rappeler les réalités d’ici-bas. De là sont sortis tous ces tissus charmans fabriqués par les procédés les plus simples et les plus primitifs, où l’or, la soie et le coton se combinent avec tant de goût. L’ouvrier, tout actif et industrieux qu’il est, n’y possède pas cet esprit d’entreprise commerciale, cette intelligence appliquée presque uniquement aux intérêts matériels, qui sont aujourd’hui, il est vrai, les élémens premiers de la puissance politique, mais sans doute aussi, comme toute excitation exagérée, la cause la plus menaçante de ruine. Dans cette Asie, dont le sol est si riche et si varié, la facilité de vivre permet à l’homme d’accepter aisément son sort et apaise sa nature, surexcitée ailleurs par les embarras, les privations et la souffrance. Cette absence de préoccupations matérielles se reflète dans le caractère, les habitudes et le costume de ce peuple superbe affranchi de nos craintes et de nos angoisses. Les procédés de tissage sont à la portée de tous, et la mécanique y joue le moindre rôle ; mais la main qui la remplace est guidée par un sentiment si juste de la forme et de la couleur, qu’elle atteint une perfection de trame et une fantaisie qui dépassent tout ce que peuvent faire nos machines compliquées. Chez nous, c’est la mode seule qui fait la règle ; ne s’appuyant que sur la convention, elle change à chaque instant et pour le seul plaisir de changer. Telles ne sont pas les conditions de l’art dans les pays où les principes se transmettent de père en fils au moyen d’une sorte d’initiation traditionnelle aux procédés sanctionnés par l’expérience séculaire. La fabrication y a des Ibis qui reposent sur la base invariable des créations de la nature, et l’habitude de la pratique finit par développer dans les âmes une sorte d’instinct du beau plus sûr que toutes les règles des écoles.

Quelques pas séparent la Perse de l’Inde anglaise. Une première vitrine accolée à la carte des Indes, dans la rue des Indes, nous captive entre toutes. La merveilleuse, collection qu’elle renferme appartient à M. Gathrie, représenté à l’exposition par M. Phillips, aussi habile joaillier que savant archéologue. Ces coupes, ces coffrets, ces écritoires, ces armes et ces ustensiles en jade, en améthiste, en cristal de roche, inscrustés d’arabesques d’or, de rubis et d’émeraudes, nous donnent clairement l’idée de ce luxe suprême des rajahs de l’Inde, dont les palais, les jardins, les terrasses et les mausolées nous sont révélés par d’admirables photographies anglaises que nous recommandons aux amateurs de l’art. Elles racontent énergiquement la civilisation incomparable de ces villes.