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d’Alexandrie, de Byzance, de Trébizonde, de la Perse sassanide, sont aussi belles aujourd’hui et aussi appréciées que celles qui se fabriquent encore et suivant les mêmes traditions à Constantinople, à Brousse, en Perse, dans l’Inde ou à Pékin, tandis que les étoffes de France, les tapis et les châles qu’on admirait il y a dix ans, que dis-je ? l’année dernière, sont déjà passés de mode et à juste titre dédaignés de tout le monde. Nous supplions ceux qui ont le moindre sentiment de la couleur d’aller voir avec soin ces produits de l’Orient et de visiter ensuite les vitrines de Lyon. Lorsque de cette harmonie savante et riche on passe sans transition à cette mêlée de tons qui s’entre-choquent, le contraste est tel que les yeux en sont réellement blessés.

La collection arabe rétrospective du docteur Meymarie, logée dans un recoin trop étroit pour son importance, offre d’intéressans spécimens de l’art oriental depuis le VIIIe siècle jusqu’à nos jours, bois sculptés et gravés, marqueteries, damasquinage, manuscrits illustrés, reliures d’un mètre de haut, faïences, lampes en verre émaillé des XIIe et XVe siècles, chefs-d’œuvre de cette industrie que Tyr, Sidon, Carthage, puis enfin Byzance et Venise ont portée si haut. Ce serait là le noyau d’un musée qui manque absolument aux collections du Louvre. Ces lampes sont en verre très épais et rappellent un peu par la forme les vases que les Grecs appelaient kalpé, La surface extérieure est ornée de ronds et de cartouches enrichis d’inscriptions et d’arabesques en émail azur, rouge, turquoise, blanc et or. Ces émaux opaques se détachent sur la transparence du verre. Les lois du Coran, qui défendent de se servir de vaisselle d’or ou d’argent, étaient encore à cette époque rigoureusement observées. Mahomet ayant dit : « Quiconque boit dans des vases d’or ou d’argent servira d’aliment au feu de l’enfer, » le luxe des objets usuels, à défaut de la richesse de la matière, ne pouvait consister que dans l’élégance des contours et des ornemens. Les coupes, les flambeaux, les houka, les sébiles damasquinées d’argent dans le style indien, sont remarquables par ce sentiment de la forme pure, de la courbe gracieuse qui se retrouve toujours dans les productions de la nature. Les Orientaux en ont le don inné. Aussi, lorsque nous imitions au moyen âge les modèles qu’ils nous fournissent, nous ne tombions pas dans ces aberrations de la forme qui, de nos jours, ont envahi les arts. Voilà pourquoi aussitôt après la première croisade, sortant à peine de la barbarie, nous pûmes tout à coup devenir de bien plus habiles artistes industriels que nous ne le sommes maintenant après huit ou neuf siècles de civilisation. Cela est triste à dire, mais, dans le galbe de la plupart de nos ustensiles à la