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l’individualisme, par opposition au principe de l’autorité venu de Rome. Ils sont particularistes, comme on dit là-bas, et ils ont fait une Allemagne conforme à leurs instincts. Ce n’est donc que par la force qu’on parviendra à les réunir sous une autorité unique, et bientôt ils retourneront à ces souverainetés multiples qui correspondent seules à leurs traditions et à leurs goûts.

Est-ce en effet le génie national ou bien les circonstances qui ont empêché la formation d’un grand royaume allemand ? Il est important d’éclaircir ce point, car, s’il était éclairci, il permettrait de prévoir les événemens que l’avenir amènera.

Les tribus germaniques, quand elles apparaissent dans l’histoire, forment une des races les plus tranchées de l’espèce humaine. Elles ont toutes les mêmes caractères physiques, la peau blanche, l’œil bleu, les cheveux blonds, les mêmes usages, les mêmes croyances religieuses, les mêmes mythes ; mais, répandues dans l’empire romain lors des grandes invasions, elles se mêlent aux vaincus : ce n’est qu’au-delà du Rhin qu’elles se conservent pures. Dépourvu de l’administration savante et des armées régulières qui permirent à Rome de soumettre l’univers à sa loi, l’empire de Charlemagne embrassait trop de peuples divers pour durer. C’est seulement sous Louis le Germanique que s’établit un royaume qui correspond à peu près à l’Allemagne actuelle. Avec les premiers princes de la ligne saxonne commence un travail de fusion et d’unification qui semblait devoir aboutir à la formation d’une nation et d’un état vraiment allemands. Pour y arriver, il suffisait de soumettre les grands vassaux, et l’empereur pouvait compter sur deux alliés prêts à le seconder, le clergé d’une part et de l’autre la chevalerie et la bourgeoisie naissante. Henri l’Oiseleur le comprit. En s’appuyant sur les forces bien organisées de son propre pays, il fit respecter partout son autorité, repoussa et vainquit les Slaves, — Wendes et Bohèmes, — et les Hongrois. L’ordre régnait, la population augmentait rapidement, l’industrie et le commerce faisaient de toutes parts surgir des villes nouvelles. L’Allemagne, au Xe siècle, jouissait d’une prospérité, d’une organisation, d’une unité inconnues ailleurs. Chose étrange, tandis que dans les autres pays le mouvement unitaire commence et se poursuit sans interruption, ici il s’arrête et semble même rétrograder. Ainsi en France les Capétiens forment leur royaume en réunissant sous leur pouvoir, par des mariages et des conquêtes, les races les plus diverses, Bretons, Provençaux, Gascons, Flamands, Allemands même. En Allemagne au contraire, le pouvoir central perd constamment de sa force jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un vain nom, planant majestueusement dans le vide sur une foule d’états réellement indépendans. D’où