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de Juda le Saint avec quelques changemens apportés, dit-on, par lui-même dans les dernières années de son patriarcat, tandis que la version primitive demeura en vigueur en Palestine, — première différence entre le Talmud Jeruschalemi et le Talmud Babli. L’idiome de la mischna est encore l’hébreu, bien qu’il soit mélangé d’expressions araméennes, grecques et latines. L’hébreu était passé depuis longtemps à l’état de langue morte ; mais on le cultivait encore dans les écoles comme langue sacrée.

Avec la fixation de la mischna finit l’ère des tannaïtes ou répétiteurs. Nous n’avons rien dit d’une foule d’honnêtes rabbins dont les noms, conservés par le Talmud, sont l’objet de pieuses recherches biographiques de la part de nos historiens juifs. Leur biographie en général est très monotone et parfois puérile. On a besoin, pour s’y intéresser, de se rappeler le courage et les souffrances de ces martyrs du rabbinisme. J’avoue que l’âne scrupuleux de R. Pinchas, tellement habitué par son maître à n’user que d’alimens dîmés qu’il mourait de faim à côté d’une masse de foin non dîmée, ne parvient pas à me toucher beaucoup. J’ai plus de sympathie pour R. Méir, qui doit avoir inventé l’encre de vitriol, et qui a rendu par là un grand service à l’humanité. En somme, il y a très peu à tirer de leurs travaux ; si ce n’est pour l’œuvre respectable, mais étonnamment aride et ennuyeuse, à laquelle ils ont voué leur vie. C’est par eux, par leur enseignement, que le caractère légaliste du judaïsme fut poussé à un point qui nous paraît aujourd’hui inconcevable. Ne demandez pas à la mischna de vous parler de l’amour de Dieu ; il en est encore moins question dans ses sentences aphoristiques et sèches que dans l’Ancien Testament. Ne demandez pas non plus à la mischna et à ses commentateurs ce qu’ils ont voulu régler dans la vie humaine ; le difficile est de trouver quelque chose qu’ils n’aient pas réglé, soupesé, précisé. Ils vous diront, par exemple, la somme exacte qu’un pauvre peut réclamer de la bienfaisance publique, si un jeune marié est tenu de lire le schemah[1] le soir de ses noces, combien d’enfans un honnête homme doit procréer pour s’acquitter de son devoir envers le genre humain, De quoi ne se mêlent-ils pas ? C’est au point qu’on trouve chez quelques rabbins, du temps les traces d’un certain mécontentement d’ailleurs sans résultat. L’un d’eux, R. Josué, se plaignait de ce que la mischna suspendait parfois des montagnes à un cheveu.

  1. On appelle ainsi les trois fragmens bibliques, — Deutér. VI, 4-9 ; XI, 13-21 ; Nomb., XV, 37-41, — lesquels, regardés comme contenant les vérités essentielles du judaïsme, sont souvent répétés soit dans le culte public, soit dans la dévotion privée. Schemah, c’est-à-dire écoute, est le premier mot du premier fragment et désigne par abréviation l’ensemble des trois textes.