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envoyée près d’un empereur (on ne dit pas lequel), une princesse impériale lui demanda en riant pourquoi tant de sagesse était renfermée dans un si vilain vase. — Princesse, repartit le vieux rabbin, on ne conserve pas le bon vin dans des vases d’or.

Ce fut le sanhédrin de Jamnia qui commença de séparer officiellement les Juifs chrétiens de la famille israélite. Jusqu’alors les Juifs chrétiens de Palestine, pour la plupart rigides observateurs de la loi et très antipathiques au christianisme plus hardi de l’école paulinienne, faisaient plutôt l’effet d’une de ces associations excentriques qui abondaient dans la société juive, et qui, d’accord avec elle sur le principe de l’inviolabilité de la loi, jouissaient d’une certaine liberté d’allures qu’on ne restreignait pas sans motifs graves. L’excentricité des nazaréens consistait à s’imaginer que le messie attendu par tous les Juifs et devant bientôt venir avait déjà paru sous les traits d’un rabbi suspect de Galilée, condamné à mort et crucifié quelques dizaines d’années avant la destruction du temple. Cela devait faire aux scribes infatués de leur scolastique l’effet de quelque chose de niais et d’innocent. Il est vrai que dans les premiers temps des mouvemens très peu légaux avaient éclaté au sein de cette association particulière ; mais la persécution dont Etienne le diacre fut la plus illustre victime les avait étouffés en Judée même, et l’on ne s’occupait guère de ce qui se passait ailleurs.

Cependant, et à la longue il n’en pouvait être autrement, les Juifs chrétiens commençaient à se distinguer plus nettement de l’ensemble de la société juive. Les principes déposés dans leur conscience par celui qu’ils appelaient le Christ portaient peu à peu leurs fruits naturels. Par exemple, ils étaient des plus froids pour les intérêts de la théocratie. Ils avaient refusé de prendre part à la guerre contre les Romains, et beaucoup s’étaient réfugiés dans la Décapole, de l’autre côté du Jourdain. Les évangiles, surtout l’évangile perdu dit des Hébreux, en répandant en Palestine l’enseignement personnel de Jésus, froissaient les lecteurs intelligens, qui voyaient combien peu Jésus lui-même était légaliste. Quand le judaïsme se reconstitua sous l’autorité du sanhédrin de Jamnia et plongea plus que jamais dans les eaux rabbiniques, les communautés judœo-chrétiennes restèrent indépendantes, ne voyant aucun motif pour se rallier à ce nouveau centre religieux, et peu disposées à obéir aveuglément aux nouvelles prescriptions des rabbins. D’ailleurs la chute du temple et la cessation forcée des cérémonies sacerdotales les poussaient irrésistiblement dans la voie libérale que Paul avait inaugurée trop tôt pour leur inexpérience et leur faiblesse, mais non pour la logique du principe chrétien. La personne de Jésus grandissait tellement dans leur vénération, qu’ils le mettaient