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aux bêtes dans les arènes en représailles des affreux supplices auxquels tant de Juifs avaient succombé. Ce ne fut qu’au prix d’énormes sacrifices que Martius Turbo vint à bout de cette révolte. A peine était-elle comprimée, que Trajan, malade de fatigue et de dépit, mourut en Cilicie au retour de son expédition aussi stérile que sanglante.

Son successeur Adrien (117-138) était moins avide de gloire militaire, et sa grande préoccupation fut partout d’acheter la paix par des concessions de toute sorte. Quietus, gouverneur romain de la Palestine, avait fort à faire pour comprimer les fermens insurrectionnels qui agitaient la population. Animé d’une haine furieuse contre les Juifs, il ne songeait à rien moins qu’à les exterminer[1], quand il fut déposé par Adrien. Celui-ci, vaniteux et très confiant dans sa propre habileté, s’était promis de conquérir une bonne fois les sympathies de ce peuple, qui, tout asservi qu’il était, n’en restait pas moins une menace perpétuelle contre la sécurité de l’empire. Il pensait qu’avec de judicieuses concessions à ses habitudes bizarres rien ne serait plus facile que d’obtenir ses bonnes grâces. Un jour la nouvelle se répandit en Judée que l’empereur Adrien avait résolu de réparer les quartiers ruinés de Jérusalem et de rebâtir le temple. Jubilation générale, enthousiasme délirant ! Une sibylle apocryphe chanta en vers grecs l’âge d’or qui allait s’ouvrir. Plus d’un Juif chrétien fut ébranlé dans sa croyance au retour prochain de Jésus sur les nuées du ciel, et revint au judaïsme. De toutes parts on envoya de l’argent et des matériaux pour procéder en toute hâte à la glorieuse reconstruction.

Amère déception ! Adrien, soit de son propre mouvement, soit de l’avis de quelques conseillers, regretta de s’être avancé si loin, équivoqua sur le sens de ses promesses, et posa entre autres cette condition, que le nouveau temple serait construit sur un autre emplacement que l’ancien. C’était, au point de vue juif, comme s’il eût retiré sa parole. Les Juifs crièrent à la mauvaise foi, et malgré les conseils de leurs rabbins les plus éclairés se préparèrent sourdement à prendre les armes. Le complot fut ourdi si secrètement que la police impériale ne soupçonna rien. Elle ne remarqua pas

  1. C’est à ce moment d’effervescence que la critique moderne fixe généralement la date de la composition du livre dit de Judith. Chacun connaît cette histoire, évidemment apocryphe, mais à chaque instant on en parle comme si elle faisait partie de l’Ancien Testament, ce qui n’est pas. Ce livre a pour but de ranimer le patriotisme et le courage des Juifs en leur montrant sous le voile d’une fiction romanesque comment il ne faut jamais désespérer de la patrie juive, puisqu’une simple femme, scrupuleuse observatrice, il est vrai, des prescriptions rabbiniques, a pu sauver son peuple au temps des guerres contre l’Assyrie.