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Les gouvernemens ont eu longtemps la pensée que les navires affectés aux communications postales pourraient être, le cas échéant, employés comme navires de guerre, et lors des premières concessions ils ont inséré dans les cahiers des charges ou dans les contrats des clauses spéciales pour la construction et l’armement. L’expérience a démontré le vice de cette combinaison. Un bon paquebot serait un mauvais navire de guerre, et réciproquement. Le premier doit tout sacrifier à la vitesse, le second à la force d’attaque et de résistance. Aujourd’hui, en France comme en Angleterre, on a complètement renoncé aux navires à deux fins. Les paquebots peuvent d’ailleurs rendre les plus grands services en temps de guerre. Ils exécutent les transports de troupes, de munitions, d’approvisionnemens, et demeurent les plus utiles auxiliaires de la flotte. C’est ainsi qu’ils ont rendu de grands, services pendant les guerres de Crimée et d’Italie. Là doit se borner leur rôle ; aussi les clauses relatives à leur armement militaire ont-elles complètement disparu des contrats.

Cette renonciation à l’emploi des navires mixtes émancipa en quelque sorte l’art du constructeur, et facilita singulièrement les études relatives à la confection des paquebots. Pendant que les ingénieurs militaires s’appliquaient à perfectionner l’instrument de combat, les compagnies s’occupaient exclusivement d’améliorer l’instrument de transport, pour le rendre tout à la fois plus rapide et plus apte à ses fonctions commerciales. Les progrès se sont accomplis parallèlement avec une émulation profitable pour chacune des deux marines. Le premier problème à résoudre était d’obtenir l’agrandissement du navire de telle sorte que celui-ci pût, avec un accroissement de vitesse, transporter un plus grand nombre de passagers, une plus, grande quantité de marchandises, et procurer une plus grande somme de fret. Les premiers paquebots jaugeaient à peine 2,000 tonnes avec une puissance motrice de 400 chevaux au maximum. Aujourd’hui la capacité des navires excède 4,000 tonnes, et la puissance motrice, pour les navires qui font les traversées entre l’Europe et les États-Unis, atteint 1,000 chevaux. Il y a vingt ans, l’ingénieur anglais Scoresby déclarait que pour les traversées transatlantiques les navires de grandes dimensions seraient les plus avantageux sous le rapport de la sécurité et de l’économie, et il prédisait que d’énormes navires, y seraient un jour employés. Cette prédiction se réalise. Le Great-Eastern dépasse à cet égard tout ce que les esprits aventureux pouvaient imaginer. Sans doute ce géant des mers, avec ses 24,000 tonneaux de jauge, ses 2,600 chevaux de force motrice, n’est point un navire commercial, en ce sens que, dans l’état présent du commerce et des relations interocéaniennes. Il ne trouverait point à jour fixe un chargement rémunérateur ; on