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monarchie autrichienne un groupe de douze millions d’habitans, libres, sagement gouvernés, répandant sur les peuples voisins de la Turquie l’influence de leurs idées ; mais, pour que cette combinaison réussisse, il faut ôter tout prétexte à la propagande russe, et c’est ce but que doit se proposer la diète de Pesth en élaborant la loi dite des nationalités. La centralisation, comme la France et la Prusse l’appliquent, n’est pas possible, et pour prospérer et grandir il faut laisser grandir autour de soi tous ces élémens très viables, Roumains, Serbes, Croates, dont on voudrait en vain tenter la conquête ou l’assimilation. Il faut que le citoyen de Pesth cesse d’être un Magyar, c’est-à-dire un homme de race, pour devenir un Hongrois. Armé de son incontestable supériorité d’intelligence, il ne doit aspirer qu’à soutenir les autres peuples de son territoire dans la voie du progrès social et politique. Si quelque jour il voulait tenter une répression violente, il risque de succomber sous le nombre des adversaires que la Russie cherche à lui susciter. Réconcilié avec l’Autriche, il a une large voie ouverte devant lui. Les hommes éminens, les Deák, les Beust, les Andrassy, les Eotvös, ne manquent pas pour l’y conduire, et en-deçà de la Hongrie et de l’Autriche il peut compter sur la sympathie de tous les vrais libéraux européens. Il n’en est pas un seul qui n’applaudisse lorsqu’il saura la monarchie autrichienne sauvée et la Turquie d’Europe émancipée, garanties par un boulevard solide contre les empiétemens de la Russie.


II

Dans les pays qu’on est convenu d’appeler cisleithans[1], l’empire d’Autriche compte près de 8 millions d’Allemands, environ 5 millions de Tchèques, plus de 2 millions de Ruthènes, à peu près le même nombre de Polonais et 1,200,000 Slovènes ou Slaves da sud. Entre ces populations si diverses d’origine qui l’emportera du vieil attachement à la maison de Habsbourg, ou de l’esprit de race ? Si les Polonais tentaient à eux seuls de refaire l’état polonais d’avant 1772, si les Slaves, Tchèques ou Slovènes, exhumant d’anciennes traditions historiques, ne voulaient plus chercher qu’à se constituer en petites principautés destinées à accepter tôt ou tard la suzeraineté de la Russie, « cette grande mère des Slaves, » si les Allemands enfin recherchaient avant tout leur unité nationale, que deviendrait l’Autriche au milieu de ce chaos de prétentions séparatistes ? Fort heureusement, presque aussitôt après le désastre de

  1. La Leitha est une rivière qui sépare la Basse-Autriche de la Hongrie.