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l’absence d’esprit politique chez presque tous les Croates qui veulent jouer un rôle dans les affaires de leur pays. Pendant des jours entiers, par exemple, les orateurs de la majorité discutent le sens d’un rescrit de Léopold Ier ou de Marie-Thérèse, Un jour, le parti national quitte la salle des séances au moment où il craint de se trouver en minorité. Cette tactique peu digne est reprise le lendemain par Berlic, Zivkovic, Stojanovic, qui refusent de prendre part au vote d’une adresse à l’empereur. Sur le fond du débat, plus théorique que pratique, qui s’est engagé entre les Hongrois et eux, on doit arriver à s’entendre, surtout si les ministres magyars, aujourd’hui maîtres des destinées de la Croatie, n’y font pas sentir trop lourdement l’action du gouvernement central. Sans appui à espérer d’aucun côté, les Croates se résigneront au rôle secondaire que l’histoire, que l’état arriéré de leurs mœurs et de leurs institutions les forcent provisoirement d’accepter. Qu’on respecte leur autonomie, l’usage de leur langue dans toutes les affaires qui se traitent chez eux, et la paix sera bien près d’être faite. Les Magyars ont à faire une autre concession essentielle. Le petit port de Fiume, sur l’Adriatique, qu’une excellente route relie depuis un siècle à la vallée de la Save, a longtemps profité de tout le mouvement du commerce de la Hongrie par mer. Avant la brouille des Magyars et des Croates, il avait été déclaré partie intégrante du sol hongrois, et lorsque des troubles y ont éclaté récemment, le comte Andrassy y a envoyé un gouverneur, comme il eût fait pour toute autre ville du royaume proprement dit. Fiume a la prétention d’envoyer directement des députés à la diète de Pesth, et ses représentans ne paraissent à la diète d’Agram que pour y protester… contre leur propre présence. Au fond, cette attitude de la majorité des habitans de Fiume vient de leur désir d’avoir promptement le chemin de fer que les Magyars leur font espérer. Les Croates de leur côté tiennent à ce qu’il soit bien établi, que tout lien entre Fiume et la Hongrie a cessé depuis 1848. N’y a-t-il pas entre ces deux prétentions les élémens d’un compromis, et puisqu’à Vienne, à Pesth, à Agram, dans cent autres lieux de l’empire d’Autriche, on a si souvent sur les lèvres le mot d’autonomie, ne peut-on pas faire de Fiume une ville libre, se gouvernant elle-même comme Trieste, sa rivale, et donner satisfaction aux Croates en la portant nominalement à leur territoire ?

Deux questions, celles des confins militaires et de la Dalmatie, sont envisagées de la même manière par les Croates et les Magyars, et(si elles n’ont pas encore été discutées entre les cabinets de Vienne et de Pesth, c’est que, dans la nécessité où l’on se trouvait d’en régler de plus importantes, on a dû les laisser de côté comme