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parlement qui fait les lois est d’en examiner l’opportunité et de rapporter telle disposition de la loi ou de la constitution qu’il a faite lorsqu’il est obligé de reconnaître qu’elle ne répond plus aux besoins de la société pour laquelle elle est faite. Avant tout, ce que la Hongrie doit éviter, c’est l’isolement, et le projet de loi de la commission des soixante-sept est à mes yeux le mode le plus opportun d’arriver à un compromis pacifique. J’en demande l’adoption. »


Ce discours donne la mesure du talent oratoire et du grand sens politique de M. Deák. Non-seulement il fit une impression des plus vives sur la diète, mais il réussit à opérer un notable apaisement dans les esprits. La gauche ne s’attacha plus à des récriminations stériles et parut se résigner à sa défaite. « Il est vrai, disait l’un de ses orateurs, qu’il y a dans le parlement deux partis, ayant chacun adopté une ligne de conduite différente ; mais le cœur de tous les députés n’a jamais cessé de battre pour l’amour du pays. Il est vrai aussi que notre parti est resté en minorité, mais je n’en bénis pas moins la Providence, car un grand but commun, supérieur aux divisions de parti, est aujourd’hui atteint. Notre patrie a été sauvée, un ministère responsable fonctionne, et nous avons un roi couronné. Ainsi les griefs de la nation auront bientôt disparu, et nous devons, dans la situation présente, témoigner toute notre confiance aux hommes placés à la tête du gouvernement. » Le bon sens magyar a très bien saisi la situation. La Hongrie a les moyens de redevenir aussi indépendante et plus prospère qu’elle ne l’a jamais été. Aussi tous les exilés se sont-ils empressés de rentrer dans leur patrie après l’amnistie complète du couronnement. Ceux qui en 1859 combattaient en Italie les armes autrichiennes, les Klapka, les Türr, les Perczel, ont fait acte d’adhésion sincère aux résolutions de la diète, et quelques-uns même se sont rangés ouvertement sous les drapeaux du parti modéré. Un seul homme protesta et proteste encore contre la réconciliation de la Hongrie et de la maison de Habsbourg : ce fut Kossuth. En lisant les attaques de Kossuth contre le parti Deákiste, on est obligé de convenir que l’éloignement prolongé a enlevé à l’ancien journaliste-dictateur la vision des faits les plus constans, « Au bout de quelques années d’exil, dit Macaulay, l’homme arrive le plus souvent à voir au travers d’un prisme menteur tout ce qui tient à la société qu’il a quittée… Plus l’exil dure, plus l’hallucination grandit. » Cette loi du cœur humain s’est vérifiée sur M. Kossuth, l’homme qui a joué le plus grand rôle dans l’histoire de la Hongrie moderne. Hors d’une révolution violente ayant pour but de faire des Magyars les chefs immédiats de la confédération des peuples du Danube, M. Kossuth ne voit rien