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Croates et des Serbes, tandis qu’ils affectaient le dédain le plus absolu pour les prétentions des Magyars à l’égard des autres races, le faible empereur, pris de panique, donnait sa sanction solennelle aux lois de la diète de Presbourg en mars 1848. Ces lois, votées coup sur coup sur les instances du parti radical conduit par Kossuth, marquaient encore davantage l’isolement entre la Hongrie et les autres pays de l’empire, dépourvus à cette époque d’institutions représentatives. Elles introduisaient dans la monarchie un germe de désagrégation profonde en donnant au palatin ou vice-roi, lorsque le souverain était empêché de résider dans le royaume, tous les pouvoirs jusqu’à celui de sanctionner les lois votées par la diète et de disposer des troupes laissées en Hongrie. En outre, par suite de la précipitation qu’on avait apportée aux réformes, on avait laissé aux comitats, ou assemblées électives de canton, le droit de se refuser à l’exécution des actes du pouvoir central, si bien qu’une fraction de la nation pouvait arrêter et annuler de fait les décisions prises par un ministère responsable vis-à-vis de la nation tout entière. Enfin on statuait que la grande principauté de Transylvanie serait incorporée purement et simplement au territoire hongrois sans égard pour son autonomie et son droit spécial ; on tenait la Croatie pour assimilée politiquement au royaume proprement dit, et on humiliait la diète d’Agram en restreignant ses attributions au point que les Croates pouvaient se persuader aisément qu’on voulait les traiter comme un peuple conquis. Par une réaction naturelle, les autres races, les Allemands et les Slaves, mettaient en avant des prétentions tout aussi violentes, et formulaient des programmes très peu conciliables avec les exigences des Magyars. Les conseillers de l’empereur Ferdinand, surpris par ce mouvement des races, où ils n’avaient vu d’abord qu’un jeu peu dangereux, passaient tour à tour de concessions excessives à l’égard de la Hongrie à des complaisances pour le parti unitaire allemand. Après avoir laissé faire les élections pour le parlement de Francfort, ils se ravisaient et se prenaient d’enthousiasme pour les doctrines des conservateurs slaves. Il devint bientôt évident qu’on ne sortirait de ce désarroi que par la force, et presque coup sur coup l’armée autrichienne réprima les Slaves trop ardens de Prague, combattit les révolutionnaires allemands à Francfort et à Vienne, et entama la lutte contre les Magyars révoltés, sans parler des campagnes de Radetzky.

Le prince Félix Schwarzenberg et M. de Bach réussirent à ramener la soumission apparente de tous ces peuples, et l’empereur François-Joseph, appelé si jeune au périlleux honneur de régner sur l’Autriche, put pendant les premières années se faire illusion