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premier pour le reste de la nuit, le second pour revenir au bout d’une heure. Tandis qu’il était debout auprès de Madeleine : — Que signifie, lui demanda-t-elle, la devise inscrite sur cette bague ? En même temps elle lui désignait l’anneau à cachet que Mabel lui avait laissé. Il le portait habituellement au petit doigt de sa main gauche.

— Ce sont, répondit-il, deux mots français très simples en eux-mêmes, mais dont notre langue ne possède pas l’équivalent. Quand même ! cela exprime la résolution, le parti-pris coûte que coûte. Il y a dans cette locution elliptique comme un geste, un mouvement d’épaules qui secoue l’obstacle et le brave. Notwithstanding, even so, ne la rendent que d’une manière tout à fait insuffisante…

Pendant cette explication, Wilmot souffrait singulièrement. Il lui semblait spécialement pénible, même au milieu de tant d’autres tristesses, que Madeleine eût remarqué cette bague et le forçât à se souvenir de celle qui l’avait portée avant lui.

Quand même ! répéta-t-elle avec des accens d’une douceur infinie, et comme, penché vers elle, il la dérobait aux regards, comme personne n’était à portée de les entendre, comme leurs regards venaient de se rencontrer et de se confondre : — en bien ! lui dit-elle, je me sens heureuse, très heureuse… quand même !

…………………..

Wilmot, de retour chez lui, s’assit pour réfléchir à ce qu’il venait de dire et d’entendre. La fatigue, les émotions de la journée, l’avaient abattu. Mille confuses images passaient devant ses yeux éblouis. La pièce où il était semblait se remplir de fantômes. Allait-il donc fléchir, allait-il tomber malade ? Oh ! non, cela ne se pouvait… Plus tard à la bonne heure ! la maladie, la mort, seraient les bienvenues ; mais à présent, non, il fallait rester à son poste. Il sonna, se fit servir quelques alimens, et, quand il les eut pris, il sentit se rétablir en lui un certain équilibre. Sa voiture était commandée ; il entendit du bruit dans le vestibule et pensa qu’il s’était oublié à réfléchir. Courant en sursaut à la porte de son cabinet : — Le brougham est là ? demanda-t-il à son valet de chambre.

— Non, monsieur, répondit le domestique d’un air embarrassé.

— Quoi donc alors ?

— Un message de Brook-Street, envoyé par le capitaine Kilsyth…

Wilmot fit un pas dans le vestibule et reconnut le valet de Ronald. Cet homme était pâle et semblait consterné. — Qu’y a-t-il donc, Martin ? Parlez vite !

— Le capitaine m’envoie, monsieur, pour vous apprendre que mistress Caird est morte… Quelques minutes après votre départ,