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souillure. Dioscore, délivré de sa triste chaîne, s’embarqua furtivement et rejoignit ses frères à Constantinople. Cet exploit, de Théophile complétait la lettre à Chrysostome et lui donnait toute sa signification.

L’archevêque de Constantinople parut ne point sentir le trait insolent par lequel Théophile répondait à sa prière ; il lui récrivit même pour le ramener à des sentimens plus calmes dans l’intérêt de l’église, tandis que d’un autre côté il prêchait la paix aux Longs-Frères. Ces moines et leurs compagnons, las de tant de délais, irrités, malades, se contenaient à peine : une perte douloureuse acheva de les aigrir. Le grand hospitalier Isidore mourut. Ce prêtre, source involontaire de leurs malheurs, expirait à l’âge de quatre-vingt-cinq ans dans une de ces cellules d’Anastasie que l’archevêque leur avait assignées pour demeure, et où ils ne virent bientôt plus qu’une prison ; ils se demandèrent alors les uns aux autres avec désespoir s’ils étaient destinés à mourir, comme leur ami, dans l’exil, sans justice ni vengeance. Ils en étaient là quand de nouveaux événemens vinrent leur rendre la liberté d’agir, et dégagèrent l’archevêque de toute responsabilité dans les tristes affaires de Nitrie.

Il était entré tout récemment au port de Constantinople un navire égyptien amenant d’Alexandrie une ambassade du patriarche à l’empereur. Les envoyés étaient au nombre de cinq, un évêque et quatre abbés, et dans leurs rangs figuraient quelques-uns des odieux espions de Nitrie, provocateurs et instrumens de tous ces désastres : la trahison, comme on voit, avait bientôt reçu sa récompense. Ils étaient porteurs d’une requête au prince tendant à ce qu’on chassât de Constantinople, comme des hommes dangereux et capables de tout, des moines fugitifs, excommuniés par leur évêque et condamnés par un concile pour crimes d’hérésie, de magie, de rébellion enfin contre l’église et l’état : ces scélérats, c’étaient les Longs-Frères et leurs amis. L’imputation de magie glissée au milieu des autres avait été perfidement imaginée pour intéresser le pouvoir civil à l’extermination de ces malheureux. La magie en effet était un crime de lèse-majesté, jugé la plupart du temps par des commissions spéciales, attendu qu’il s’y mêlait presque toujours aussi des menées ambitieuses et des complots contre le chef de l’empire. Les lois qui la punissaient étaient donc d’une dureté impitoyable, c’était la relégation ou la mort. Faire des exilés de Nitrie une bande de magiciens, c’était armer contre eux la haine publique, les soupçons du prince, le zèle des adulateurs et des lâches. Les envoyés s’offraient d’ailleurs à soutenir leurs dires devant le tribunal de l’empereur. Pour que l’accès du palais leur fût plus facile et l’office du prétoire plus favorable, ils arrivaient munis de grandes sommes d’argent et de cadeaux de toute nature. Le patriarche d’Alexandrie