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lady, de n’avoir pas été bien aimée ? Non certes ; mais le dévouement, la tendresse d’un être inférieur à elle ne répondaient pas à toutes ses ambitions. Elle avait rêvé une autre affection, celle d’un homme qu’elle pût avouer pour maître et seigneur, par qui elle se fut sentie dominée, dont elle eût porté le joug avec orgueil, de par sa volonté domptée, de par son intelligence asservie. Cet homme s’était montré, la chimère caressée avait pris corps,… et ce n’était point elle, c’était une simple enfant aux yeux bleus, aux cheveux d’or, qui avait obtenu, sans y avoir aspiré, sans le moindre calcul ni le moindre effort, de régner sur cette âme énergique, et d’y régner à jamais, car lady Muriel ne s’y trompait pas : morte ou vivante, Madeleine resterait la préférée. Jamais Wilmot ne devait aimer une autre femme. Celle-ci était pour lui, qu’il la sauvât ou non, la forlorn hope, « l’espérance perdue » qu’aucun autre espoir ne remplace. Une fois vaincu dans ce grand duel qui allait le mettre aux prises avec la mort, il jetterait son épée, et, les bras croisés, attendrait que son tour fût venu.

Pénétrée de cette vérité, qu’elle s’étonnait d’avoir pu méconnaître, lady Muriel Kilsyth sortit de son rêve comme on sort d’un palais qui s’écroule. À cette heure où s’évanouissait définitivement pour elle la vision d’un amour épuré qui lui promettait d’imprimer à sa vie un nouvel essor, de lui donner comme un regain de jeunesse et de forces, la douce Madeleine (en la supposant instruite des complots dont elle avait été victime) aurait trouvé que le ciel la vengeait trop bien.

Coïncidence bizarre ! tandis que lady Muriel se repentait à loisir de ses vaines trames, de ses implacables combinaisons si promptement, si complètement déjouées, Chudleigh Wilmot, après cette première entrevue avec la mourante, s’abandonnait, lui aussi, aux inspirations d’un remords presque superstitieux. Dans le naufrage final de cet amour dont il n’avait jamais si bien apprécié la puissance, il croyait, presque malgré lui, deviner une vengeance,… une vengeance de Mabel. Non contente de lui léguer un doute affreux, cette femme qu’il avait laissée mourir, dont il avait méconnu les droits, négligé les souffrances, cette femme à laquelle il se devait et qu’il avait sacrifiée à une autre femme, se plaçait maintenant, par un juste retour, entre Madeleine et lui. Vainement repoussait-il ce souvenir importun. Tantôt sous les traits de Mabel étendue sur un lit funèbre, tantôt sous ceux de Henrietta Prendergast et avec sa physionomie méfiante, sa parole hostile, l’obstacle se dressait sur sa route obscure, et deux voix alternées répétaient l’arrêt fatal : — Cela ne sera pas, cela ne peut être !

Justement ce soir-là une lettre de mistress Prendergast fut remise à Wilmot. Sous le prétexte qui lui avait déjà servi une