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ces dernière mots pour leur donner la valeur d’une repartie ironique). Si j’étais malade pour tout de bon, ce serait autre chose ;… mais, comme je ne l’amuse guère, il me laisse là bien souvent,… ce qui m’arrange d’ailleurs dans l’état de faiblesse où me voici.

— Je… vois, je comprends, dit Ronald, dont l’accent ne rassura que fort imparfaitement Madeleine.

— Non, reprit-elle, vous ne voyez pas, vous ne comprenez pas ; je vous défends, — entendez-vous, je vous défends — d’en vouloir à Ramsay… Vous-même, vous qui parlez, vous étiez-vous aperçu combien cette maudite toux me fatiguait ?… Et pourtant, plusieurs jours avant votre départ, j’avais déjà eu des étourdissemens en descendant l’escalier, tant ma faiblesse était grande… Au surplus, cette toux ne me prend guère que le matin,… quelquefois la nuit, mais pas toujours. L’après-midi, la journée, sont ordinairement bonnes. Le soir, je suis vaillante, surtout quand j’ai pris les gouttes que m’a prescrites sir Saville Rowe.

— Mais sir Saville Rowe n’est plus à Londres.

— Non… c’est le docteur Whittaker qui dirige mon traitement… Il vient me voir de temps à autre, et c’est bien assez de médecins comme cela, continua-t-elle comme pour aller au-devant de quelque remontrance, de quelque conseil anticipé… La seule idée d’avoir affaire à un inconnu, à un visage nouveau, m’agite et me trouble au-delà de ce que je pourrais dire.

Ronald, en écoutant cette adjuration émue, en étudiant le jeu de cette physionomie fiévreuse, comprit bien qu’il fallait se taire : insister eût été trahir des craintes qu’il était important de dissimuler à la jeune malade. Aussi glissa-t-il fort légèrement sur ce sujet scabreux et voulut-il, sous prétexte que la causerie fatiguait sa sœur, couper court à leur entretien matinal ; mais Madeleine insista pour le retenir. — Non, disait-elle, vous êtes trop rare pour qu’on se prive ainsi de vos visites… Restez, je me sens de force à vous tenir tête. — Il resta donc, ils causèrent comme autrefois, de Kilsyth, de leur enfance, de leurs anciens compagnons de jeux. Tous deux sentirent alors que leur affection mutuelle, troublée un moment, était redevenue aussi intime que jamais. Cette pensée n’était pas précisément faite pour calmer les remords que Ronald avait senti s’éveiller en lui. Une colère sourde bouillonnait dans sa poitrine, colère contre lui-même, colère contre lady Muriel. Avait-il été assez aveugle ! s’était-il assez laissé mener ! Comment n’avait-il pas mieux apprécié la puissance du mutuel attrait qui, sans toute une série d’obstacles élevés à plaisir, aurait fini par unir Wilmot et Madeleine ? Certes lady Muriel avait eu toute raison de lui signaler comme un péril l’affection que Madeleine portait déjà, sans en avoir conscience, à un homme engagé dans les liens du mariage ; mais