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qu’elle se sentît entraînée vers lui par une affection jusque-là dissimulée avec soin. Seulement Kilsyth ne comprenait rien à l’extrême réserve avec laquelle s’exprimait cette affection maintenant très hautement avouable. — Tout ira bien, tout ira bien, grommelait-il parfois entre ses dents… Nous avions de notre temps la langue un peu moins discrète ;… mais chaque époque a ses usages, et ce qui m’étonne est tout simplement une mode nouvelle.

Au fond, Madeleine savait fort bien que la moindre objection venant d’elle arrêterait court les projets de mariage ; mais à quoi bon résister ? Elle se ferait une ennemie de lady Muriel, avec laquelle sa destinée l’appelait à vivre ; elle froisserait Ronald, c’est-à-dire l’homme qui, après son père, lui avait toujours donné les gages de la sollicitude la plus tendre, du dévouement le plus absolu, et encore une fois à quoi bon, puisque cette démarche hardie, cette flagrante inconséquence, ne lui feraient pas faire un pas vers l’unique but de ses espérances, maintenant détruites. Ses amis voulaient qu’elle épousât Ramsay Caird ; eh bien ! lui ou un autre, qu’importait-il donc tant après tout ? Elle donnerait satisfaction à ses amis.

Le mariage eut lieu dans ces conditions, grâce à la prudence méticuleuse du prétendu, qui, toujours présent, toujours prévenant, gracieux, accort, bon compagnon, — fidèle aux instructions de son habile protectrice, — ne hasarda pas le moindre empressement trop vif, la moindre effusion à contre-temps. La cautèle écossaise le gardait de toute erreur de ce genre. Il ne manquait à rien d’essentiel, mais sans se prodiguer, sans se compromettre, sans témoigner trop d’enivrement, en homme qui sait tout ce qu’on fait pour lui, mais qui sait aussi ce qu’il vaut ; bref, une tactique parfaite, où se retrouvait la perspicacité judicieuse, l’expérience consommée de lady Muriel. Celle-ci de son côté ne s’épargnait pas et donnait au monde le spectacle édifiant de ses soins maternels. Ce fut elle qui découvrit, dans Squab-Street, — une petite rue du West-End, — la maison où devait s’installer le jeune ménage : — maison modeste, comme il convient à des « commençans, » mais, dans ses proportions réduites, un bijou d’élégance intérieure. Ce fut encore elle qui, parmi les meubles du riche célibataire que la mort venait de forcer à quitter cette demeure étroite, mais décorée avec tant de soin, choisit et acheta, dans d’excellentes conditions de prix, tout ce qui pouvait décemment figurer dans un honnête ménage. — Quelles peines elle se donne pour le trousseau ! Quel goût, quelle entente elle déploie pour la corbeille ! — Dans certains salons, on ne parlait plus d’autre chose, et les demoiselles à marier enviaient le sort de cette belle-fille si favorisée qu’une femme d’un si haut mérite initiait à toutes les nouveautés de la vie conjugale. Madeleine elle-même, étourdie par le chœur de louanges qui