Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entrevoir ce qu’elle sentait pour lui, elle lui a donné l’exacte mesure de ce passager et frivole entraînement.

Ces belles spéculations, notez-le bien, alimentaient la promenade d’une belle personne réputée la plus sévère du monde, une de celles qu’on citait le plus volontiers comme un modèle de réserve, de délicatesse et de tact. — Chez mistress Caird ! cria-t-elle à son valet de pied, qui se présentait à la portière pour prendre ses ordres au sortir du parc. Elle trouva Madeleine devant sa glace et s’apprêtant évidemment à sortir. — Où allez-vous, chère Maddy ?… sans doute chercher Ramsay à son club ?

— Peut-être bien, répondit la nouvelle mariée, faute de savoir elle-même quel but elle allait donner à sa promenade. M’apportez-vous des nouvelles de Kilsyth ?

— Oui, j’ai reçu ce matin une lettre de votre père… Il a été ravi d’apprendre la bonne aventure du docteur Wilmot… Vous savez, n’est-ce pas, ce qui lui arrive ?

— Non, dit Madeleine en se tournant vers la glace comme pour étudier un nœud qu’elle venait d’arranger.

— M. Foljambe lui laisse tout ce qu’il possédait au monde. Une minute à peu près s’était écoulée quand Madeleine reprit la parole. — Ah ! vraiment ?… dit-elle ; cela me fait le plus grand plaisir… M. Foljambe était-il très riche ?

— On le dit. Dans tous les cas, voilà un bon médecin de moins.

— Pensez-vous donc que M. Wilmot renonce à sa profession ?

— Mais… cela va sans dire… Quand on a son indépendance, on ne reste pas au service du public.

— Je croyais… J’avais entendu dire que, pour M. Wilmot, la médecine passait avant tout.

— Cela se dit toujours,., et les amis sont là pour faire écho… Rien ne pose mieux un homme, et on en est quitte pour se démentir, l’occasion venue,.. en bien ! Maddy, sortons-nous ?

— Vraiment non… Tout compte fait, je me sens trop fatiguée. Elle l’était sans doute, car après le départ de sa belle-mère, loin d’aller au club chercher son mari, elle demeura seule toute la soirée, un livre sur ses genoux, un livre dont elle ne tourna pas le moindre feuillet. Aussi bien, puisque nous nous sommes arrogé le droit de lire dans la pensée de nos personnages, voici à peu près les réflexions qui occupaient la jeune femme. Chudleigh Wilmot reviendrait-il en Angleterre ? Cette richesse le rendrait-elle plus heureux ? En supposant qu’il se fut trouvé riche, au lieu d’être le laborieux artisan d’une fortune à venir, aurait-il, perdant sa femme, pensé à épouser Madeleine ? Fallait-il le croire capable de cette hypocrisie que lui imputait lady Muriel ? Y avait-il vraiment du charlatanisme dans l’espèce de culte qu’il professait pour son métier ? .. Non, bien