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à me faire connaître une des volontés de Mabel… Parlez, et soyez sûre que je ferai tout au monde pour réaliser ce vœu…

Chose étrange à dire, en prononçant ces mots, il balbutiait ; sous le ferme regard d’Henrietta, ses yeux se baissaient malgré lui. Il avait honte de prononcer le nom de Mabel en songeant que le souvenir de Mabel était si bien effacé de son cœur, et qu’à la place de ce visage imposant, revêtu de la majesté de la mort, sur lequel il avait attaché de longs regards, un autre, celui d’une enfant innocente, aux cheveux d’or, au teint rosé, aux yeux éloquens, aux lèvres émues, reparaissait sans cesse devant lui.

Henrietta, sans paraître prendre garde à ce trouble, lui expliqua posément qu’il s’agissait d’une institution charitable dont Mabel s’était occupée avec ardeur dans les derniers temps de sa vie, et qu’elle avait eu l’intention de soutenir par un don renouvelé chaque année. Il va sans dire que Wilmot accepta aussitôt le rôle qui lui était assigné comme exécuteur de cette espèce de legs verbal ; mais, l’affaire une fois réglée, il prolongea sa visite au-delà de ce qu’avait espéré mistress Prendergast, et ne la quitta qu’après avoir sollicité la permission de revenir. Henrietta ne se trompait pas sur la véritable cause de ces empressemens, et tandis qu’elle les accueillait avec une exquise bonne grâce : — A ton tour, pensait-elle, de connaître le supplice de l’amour méconnu. Il n’est pas à croire que tu en souffres longtemps ; mais aujourd’hui du moins, si elle lit au fond de ton âme, la pauvre Mabel est vengée…

Parmi les nombreuses cartes de visite que Wilmot avait trouvées chez lui à son retour, — jamais dans un si court espace de temps il n’en avait tant reçu, — aucune ne portait le nom de Kilsyth. Pour un esprit déjà ulcéré qui, sans avoir précisément aucun reproche à formuler, pressentait vaguement une intrigue, un complot de famille ourdi pour le séparer de Madeleine et la donner à un autre, cet oubli prenait d’étranges proportions. Il y avait là d’après lui affectation d’indifférence, profession ouverte d’un dédain que rien au monde ne justifiait. Les circonstances en faisaient un miracle d’ingratitude. Profondément blessé du mariage de Madeleine, humilié même en songeant au très mince mérite de l’homme qu’elle semblait lui avoir préféré, il se retranchait dans les tortures de son orgueil comme dans un fort où il trouvait abri contre celles de ses regrets, il armait son amour-propre contre sa douleur. — On ne le verrait pas, dût-il mourir à la peine, trahir le secret de ses angoisses ; il montrerait à cette famille si fière et si étrangement inspirée qu’il savait opposer l’oubli à l’oubli, le dédain au dédain ; il aurait l’air d’ignorer leur existence comme ils semblaient ignorer la sienne ; il ne leur témoignerait pas plus d’intérêt qu’ils ne lui en témoignaient eux-mêmes. Au fond de tout cela, une subtile analyse