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ça et de là, tantôt dans la belle promenade Unter den Linden, tantôt à Charlottenbourg ou dans quelques-uns de ces jolis villages qui émaillent les deux rives de la Sprée. De plus, et afin de donner quelque air de vraisemblance aux prétendus motifs de son exil volontaire, il s’était mis en rapport, parmi les médecins allemands, avec quelques-uns de ses plus illustres confrères ; tous le connaissaient de nom, et leur accueil l’aurait singulièrement flatté quelques mois plus tôt. En somme, le séjour de Berlin commençait à lui plaire, et il avait secrètement formé le projet d’y passer quelques mois, lorsqu’un énorme paquet de lettres lui fut remis par la garçon d’hôtel spécialement attaché à son service. Wilmot déchira l’enveloppe d’une main tremblante, et passa rapidement en revue les adresses d’une vingtaine de lettres sans reconnaître sur aucune d’elles l’écriture qu’il cherchait. Rien de sir Saville Rowe, qui lui aurait donné des nouvelles de Madeleine. Rien non plus de M. Foljambe. En revanche un gros pli sur la nature duquel on ne pouvait guère se méprendre, un de ces plis d’affaires qui vous laissent d’avance à pressentir quelque procès, quelque sommation désagréable, et qu’on n’ouvre jamais sans une secrète appréhension. Ce fut par ce pli que commença notre voyageur. Au moment où il rompit le cachet, un papier glissa sur le parquet sans que le lecteur y prît garde. La première ligne venait de saisir toute son attention : « conformément aux instructions que nous avons reçues de feu M. Foljambe… »

Feu M. Foljambe !… Ainsi donc son affectionné parrain, son meilleur ami, n’était plus !… Suivaient plusieurs phrases qui lui parurent incompréhensibles, une entre autres où les deux signataires de la lettre, MM. Lambert et Lee, attorneys, après l’avoir invité aux funérailles qu’en son absence ils étaient chargés de régler, exprimaient la confiance qu’il hâterait son retour afin de pourvoir aux pressantes affaires laissées en suspens par son absence. Chudleigh Wilmot se creusait la tête pour savoir quelles étaient ces affaires si pressantes qui nécessitaient, lui disait-on, une détermination soudaine, lorsque fort heureusement il aperçut à ses pieds le papier dont nous parlions ; il était mentionné dans la lettre des deux attorneys, mais il n’y avait pas pris garde au premier abord. Il le releva et le lut à loisir, non sans être parfois dérangé par les larmes qui de temps à autre venaient obscurcir sa vue. Rien de moins mélancolique cependant que l’épître testamentaire du vieux garçon.

« Mon cher Chudleigh, lui disait-il entre autres choses, j’accomplis aujourd’hui une résolution prise par moi dès le jour où je promis à votre excellent père, qui fut mon meilleur ami, de veiller sur votre destinée. Il y a dix minutes qu’un charmant petit clerc est venu me faire signer le testament qui vous assure toute ma