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L’année 1859 justifia quelques-unes des prévisions de Széchenyi. Le système du baron de Bach commençait à chanceler, la guerre d’Italie vint en précipiter la chute. Ce n’était pas seulement la Hongrie qui avait souffert de cette réaction de dix ans ; Tchèques et Croates, adversaires des Magyars en 1848, étaient obligés de se dire : « On nous a donné pour récompense ce qu’on a infligé aux Magyars comme châtiment. » Tous les peuples de l’empire étouffaient sous le même joug. Si les résultats de cette compression meurtrière n’avaient pas encore suffisamment éclairé le jeune monarque, Magenta et Solferino allaient enfin lui dessiller les yeux. C’est un grave symptôme pour un empire quand le drapeau est déployé sur le champ de bataille, et que ses peuples sont obligés de faire des vœux pour l’ennemi. L’Autriche donna ce spectacle en 1859. Avant même que la guerre éclatât, dès la fin de 1858, c’est-à-dire au moment où les rapports devenaient chaque jour plus hostiles entre Turin et Vienne, Széchenyi prévoyait des catastrophes et ne pouvait s’empêcher de les considérer comme une crise nécessaire à la rénovation de l’Autriche. « il y a, disait-il, des châtimens qui peuvent amener la guérison, à moins que le malade ne soit incurable. » Avec quelle joie il lisait une brochure de M. Charles Vogt qui fit alors grand bruit en Allemagne, et qui, sous une forme très acerbe, aboutissait aux mêmes conclusions que les siennes ! Pendant que l’armée française affranchissait l’Italie, la Hongrie frémissante n’attendait qu’un signal pour se soulever. Rien n’atteste que Széchenyi ait désiré ce soulèvement où le parti révolutionnaire aurait sans doute dépassé le but et, comme en 1848, compromis la cause nationale ; mais il est certain qu’il salua dans les victoires de la France la chute désormais inévitable du système de M. de Bach, du système de fer, comme disaient les Hongrois.

A ce moment-là même, un livre paraissait à Londres sous ce titre singulier : Réponse à un écrit anonyme publié à Vienne au mois d’octobre 1857 et tiré seulement à un petit nombre d’exemplaires pour un cercle intime de lecteurs, par un Hongrois, Londres, 1859[1]. L’écrit anonyme auquel répondait l’ouvrage imprimé à Londres était un exposé des avantages que la Hongrie, suivant l’auteur, devait à la centralisation autrichienne appliquée par le baron de Bach. Regards en arrière sur le récent développement de la Hongrie, tel était le titre de ce livre composé, on le sait

  1. Le titre est bien plus singulier dans le texte, il est même si singulier, que la langue française se refuse à en donner une traduction exacte ; je n’ai pu que l’interpréter en le simplifiant. Voici la transcription littérale : Regard sur le regard en arrière anonyme publié à Vienne, etc.. Ein Blick auf den anonymen Rückblick, welcher für einen vertrauten Kreis, in verhältniszmäszig wenigen Exemplaren im Monate October 1857 in Wien erschien. Von einem Ungar, London 1859.