Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meurtrie, décomposée, cette nation avec laquelle un souverain chevaleresque peut tenter l’impossible, cette race féconde qui, pour un prince ami, protecteur loyal de son honneur et de sa prospérité, a toujours été prête, est prête encore aujourd’hui et sera prête demain à verser la dernière goutte de son sang.

« Je crois, et cette foi me ravit, je crois que notre jeune souverain, s’il voulait seulement voir de ses yeux et entendre de ses oreilles, s’il se décidait à ne suivre que les conseils de son esprit et les inspirations de son cœur, — ah ! vienne ce jour que j’appelle ! — je crois, dis-je, que notre jeune souverain ferait bientôt pâlir devant la Hongrie du XIXe siècle la glorieuse Hongrie de Mathias Corvin.

« Voilà ce que je lis dans l’avenir ; j’ajoute que je me confie de toutes les forces de mon âme aux décisions de la Providence, qui peut bien frapper durement les souverains et les peuples en punition de leurs fautes, mais qui ne souffre pas en fin de compte qu’une nation généreuse périsse, ni qu’un prince au cœur honnête demeure toujours aveugle. Soutenu par cette prévision de l’avenir et par cette foi en Dieu, voici à quel parti je m’arrête comme fondateur de cette académie : s’il n’y a aucun moyen de résister, s’il faut absolument subir les changemens de règle qu’on nous impose, j’accepte les statuts nouveaux, bien qu’en réalité je n’en approuve pas un seul ; je les accepte tous sans la moindre objection, avec la résignation du vaincu dont on peut déchirer le cœur, mais dont on n’enchaînera jamais la pensée. En même temps, fidèle à la grande devise : justum ac tenacem propositi virum, je déclare ici de la manière la plus solennelle que je cesserai de payer les intérêts de la somme consacrée par moi à cette fondation le jour où j’apprendrai que ce sacrifice de ma fortune est employé à un autre usage que celui primitivement fixé par les fondateurs, reconnu par une loi, sanctionné par un contrat entre la nation et le souverain. Après moi, je n’en doute pas, mes héritiers prendront le même engagement et y conformeront leur conduite. Si donc un jour, malgré notre confiante soumission et en dépit des promesses qui nous sont faites, l’événement que je redoute se réalise, aussitôt mes héritiers ou moi nous retirerons notre offrande à cette académie, désormais empoisonnée, pour la consacrer à une autre œuvre patriotique, à une œuvre que nous établirons nous-mêmes, dont nous écarterons toute ingérence étrangère, et que nous n’abandonnerons que contraints par la force. »


Ainsi résignation provisoire, concession limitée, au-delà de cette limite résistance inflexible, par-dessus tout confiance absolue dans l’avenir qui doit accabler l’Autriche et relever la Hongrie, voilà le résumé de ce manifeste écrit en 1858 au fond d’une maison de fous. Quel était à cette date l’esprit le plus vigoureux et le plus sage de toute la monarchie autrichienne ?