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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


tée par le patriarche lui-même et suivie de l’excommunication. Quand ces infortunés atteignirent le lieu du rendez-vous, de trois cents qu’ils étaient partis, ils ne se retrouvèrent plus que quatre-vingts ; le découragement, la misère, la fatigue, l’incertitude de l’avenir, avaient arrêté les autres dans leur route. Ceux qui restaient étaient pour la plupart de vieux confesseurs à l’épreuve des défaillances et de la douleur, quelques-uns même étaient octogénaires, et leurs corps, marqués des stigmates de la persécution arienne qu’ils avaient subie sous Valens, témoignaient de leur saint courage. C’était là leur orgueil entre eux et leur titre devant le monde. Les uns étalaient sur leurs poitrines les cicatrices du fer et du feu, les autres l’empreinte des tenailles sur leurs membres, et ceux qui ne portaient pas ces traces glorieuses des combats de la foi portaient celles des austérités. Ayant tenu conseil, ils résolurent de se rendre d’abord à Jérusalem, où ils prendraient un peu de repos, et ensuite à Constantinople, où ils comptaient obtenir (les pauvres gens n’en doutaient pas) justice de l’empereur et protection de l’archevêque Jean Chrysostome. Partis ainsi pleins de confiance sous la conduite d’Isidore et de trois des Longs-Frères, car l’aîné, Dioscore, était retenu par le devoir dans son évêché, ils envoyèrent un lointain adieu à leurs chères montagnes, à ces sables torrides et à ce ciel d’airain qui avaient pour eux tous les enchantemens de la patrie.

II.

Ils partaient sans argent, sans vivres ; la charité les soutint en route, et ils trouvèrent du secours jusque dans le désert. Entrés en Palestine, ils virent les fidèles accourir à leur rencontre avec des provisions et de l’argent ; mais les évêques se montrèrent moins compatissans. Beaucoup leur refusaient un simple séjour dans leur diocèse, leur enjoignant avec dureté de passer outre. Ces malheureux en effet avaient été devancés sur toute leur route par une encyclique de Théophile, qui les dénonçait comme des hérétiques excommuniés, et prévenait les évêques de ne point communiquer avec eux ; or on connaissait le caractère implacable du patriarche d’Alexandrie, et, même en dehors de sa juridiction, la plupart des évêques jugeaient prudent d’éviter toute querelle avec lui. Celui de Jérusalem, Jean, fut le meilleur de tous. Soit qu’il conservât un vieux levain d’origénisme malgré sa réconciliation avec Jérôme et le brusque changement de Théophile, soit que la bonne réputation d’Ammonius et de ses frères le disposât favorablement, il reçut les fugitifs à bras ouverts. Ce bon accueil les toucha tellement qu’ils lui demandèrent la permission de s’établir au moins pour quel-