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beaucoup d’abbés parvinrent à se sauver. Les Longs-Frères habitaient en dehors des clôtures conventuelles une petite maison divisée en cellules ; des âmes compatissantes les en vinrent tirer pour les descendre avec des cordes au fond d’une citerne dont l’orifice fut masqué avec des pièces de bois et des nattes. Quand le soleil se leva sur cette ville du Seigneur, séjour naguère de la méditation et de la paix, il n’éclairait plus que des décombres. « Un sanglier cruel, nous dit le narrateur contemporain, avait ravagé la vigne féconde du Christ. »

Le désir ardent du patriarche était de s’emparer des Longs-Frères, dont la capture devait être le trophée de sa victoire, et il entra dans une vraie fureur en apprenant qu’ils avaient échappé. Se faisant conduire près de leur cabane, il la fit fouiller de fond en comble sous ses yeux. Tout y fut mis en pièces par les soldats, qui brisèrent jusqu’aux grabats. On perça les murs à coups de levier, on effondra le toit, on creusa le sol pour s’assurer qu’il n’existait point quelque part une retraite cachée. Un jeune serviteur, laissé par les frères à la garde de la maison, assistait à ce spectacle, muet et épouvanté. La colère de Théophile gagna enfin les assaillans, trompés dans leurs recherches ; ils se vengèrent de leur déconvenue en entassant au milieu de la cabane des monceaux de sarmens auxquels ils mirent le feu. Tout fut dévoré par les flammes, l’enfant lui-même y périt. Parmi les objets consumés se trouvaient une bibliothèque de livres sacrés et profanes, trésor et orgueil de ces bons moines, et aussi un morceau de la sainte eucharistie, que, suivant l’usage de la primitive église, ils gardaient chez eux pour la sanctification de leur demeure ; de tout cela, il ne resta que des cendres. L’histoire raconte que le patriarche, non content de participer par la vue à cette exécution sauvage, en avait lui-même donné le signal, et qu’il ne partit qu’après avoir vus éteindre les dernières lueurs de l’incendie.

Les moines fugitifs, que les Longs-Frères parvinrent à rejoindre, se réunirent au nombre de trois cents, abbés, prêtres, diacres ou simples moines, dans un lieu reculé du désert où ils eurent d’abord l’idée de s’établir ; mais, apprenant qu’une seconde expédition allait être dirigée contre eux, ils se décidèrent à fuir cette Égypte qui ne leur offrirait plus désormais ni paix ni trêve. Leur projet fut de se rendre en Syrie, hors de la juridiction de Théophile, et de là où Dieu les conduirait. Fixant leur rendez-vous à l’occident de la Mer-Rouge, sur les confins de la Palestine, ils se dispersèrent encore une fois, et chacun gagna comme il put le lieu de ralliement à travers la vallée du Nil. Pendant ce temps-là, un synode d’évêques complaisans, assemblé par Théophile dans Alexandrie, les condamnait comme hérétiques et rebelles d’après une formule dic-