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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


englober dans la perte de son hospitalier. Il eût été difficile de prendre en faute, du moins en faute grave et digne de l’excommunication pour leur conduite dans les choses du monde, des solitaires qui n’y vivaient pas, et que l’on considérait au désert comme le modèle de la vie ascétique : Théophile pour les frapper, eut recours à l’arme qu’il tenait en réserve dans les cas extrêmes, le crime d’hérésie. C’est ici que l’histoire des Longs-Frères et du patriarche Théophile se rattache par un lien intime et fatal à l’histoire de Jean Chrysostome.

On était alors au plus fort des disputes de l’origénisme, commencées à Bethléem par Jérôme, à Jérusalem par Épiphane, évêque de Salamine en Chypre. La querelle roulait sur les limites où il fallait renfermer l’autorité d’Origène en tant qu’écrivain dogmatique, c’est-à-dire sur ce qu’il fallait prendre ou laisser dans les opinions de ce grand docteur d’Alexandrie, qui avait mêlé l’imagination à la foi et des erreurs d’une poésie séduisante à de plus nombreuses vérités, De ses propositions les plus aventurées, les unes, depuis un siècle et demi qu’il était mort, avaient été condamnées formellement par l’église, les autres disparaissaient peu à peu devant le progrès de la science exégétique et la fixation canonique du dogme par les conciles. Toutefois l’école subsistait, bien que modifiée, et le nom d’Origène y régnait entouré d’une auréole presque divine. Dans le reste de la chrétienté, on admirait sans fanatisme les livres de cet esprit sublime, fondateur de l’interprétation mystique des Écritures, chacun individuellement adoptant ou rejetant suivant la trempe de son génie ; mais en Orient, en Égypte surtout, ce choix ne se faisait pas sans discussion et sans combat.

Celle des propositions d’Origène qui avait soulevé le plus de discussions sur les bords du Nil concernait l’incorporéité de Dieu. Pur esprit, Dieu ne pouvait, suivant l’opinion d’Origène, avoir une forme ; être des êtres, source de la vie dans le monde physique, du beau et du vrai dans le monde moral, il ne revêtait de figure déterminée que dans les circonstances contingentes où il voulait se manifester aux hommes. C’était là la vraie doctrine, celle de la philosophie et de la religion. Pour des intelligences habituées à l’interprétation littérale de l’Ancien Testament et qui ne concevaient rien au-delà, le Dieu d’Origène manquait de personnalité. La Bible disait que Dieu forma l’homme à son image ; les livres saints parlaient fréquemment des yeux, des oreilles, des bras de Dieu, de sa colère, de son repentir : Dieu ressemblait donc à l’homme et avait un corps. Telle était la conclusion où était arrivée une secte de moines grossiers, auxquels les origénistes par mépris donnèrent le nom d’anthropomorphites, c’est-à-dire de gens ayant un Dieu à figure humaine. Les anthropomorphites au contraire qualifiaient les origénistes d’a-