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concours du Crédit foncier et le mécanisme des obligations communales, aurait donc pu réaliser depuis trois ans et appliquer à la subvention de ses travaux une somme énorme, qui dépasserait 500 millions, s’il fallait la confondre avec les obligations émises, et qui serait le produit de l’escompte d’une série d’excédans prévus de ses revenus pendant une certaine période d’années.

Devant un tel fait, même imparfaitement déterminé, il s’élève des questions politiques et économiques d’une haute gravité. D’où l’administration de Paris tire-t-elle « la faculté d’emprunter, » à laquelle le Crédit foncier est tenu par sa loi d’institution d’avoir égard quand il prête aux communes ? On doit avoir trouvé un prétexte pour échapper à cette difficulté ; le prétexte ne saurait être bon. Quand le législateur, avec une louable prévoyance, a voulu que les communes fussent protégées contre le péril des dettes imprudentes, il ne songeait guère sans doute qu’aux petits emprunts des petites communes. Qui jamais eût pensé alors qu’une ville, fût-ce Paris, pourrait escompter des anticipations de ressources par centaines de millions sans subir le contrôle et recevoir la sanction d’un conseil municipal et d’une chambre des députés représentant les contribuables, sur les impôts futurs desquels de telles assignations seraient engagées ? Mais nous ne voulons point nous arrêter en ce moment à ce côté politique de la question. C’est l’intérêt économique qui nous frappe. En face de l’énormité des sommes révélées par les publications du Crédit foncier et qui ne peuvent être que la représentation d’un escompte colossal d’engagemens communaux, nous nous demandons avec stupéfaction comment il est possible qu’une administration municipale soit autorisée à porter sur les travaux d’une ville une puissance si artificielle et si excessive de capitaux. On pourrait déplorer, au point de vue politique, l’imprudence de l’aliénation des ressources futures imposant injustement aux contribuables de l’avenir des charges qui suppriment leur droit de consentement ou de refus, on pourrait regretter une pratique imitée de l’ancien régime, où les contrôleurs-généraux se voyaient obligés de dévorer les revenus d’avance par des assignations sur les recettes futures ; mais l’abus et le péril économique éclatent plus encore que l’incorrection politique. Songe-t-on à l’influence artificielle qui peut être exercée sur les conditions économiques par la dépense ramassée dans un petit espace de temps d’une somme si grosse appliquée au même ordre d’industrie ? cette somme est employée d’abord à la destruction de capitaux réels, existans, en pleins rapports. Elle crée par cette destruction une rareté arbitraire d’immeubles, et suscite une hausse artificielle des prix. Elle excite un rassemblement, une accumulation de main-d’œuvre sur un seul ordre d’industrie et une élévation non équilibrée des salaires ; elle attire par la hausse factice des prix le courant des capitaux de spéculation à la poursuite de bénéfices qui ne sortent point du mouvement naturel des choses, et qui ne sauraient manquer, le jour où il faudrait s’arrêter,