Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
756
revue des deux mondes.

laissait paraître. Née à Paris en 1780, sous l’ancien régime à la fois chancelant et très animé, elle avait été élevée non-seulement dans la région de la cour, mais sous le patronage et presque dans l’intérieur de la famille royale ; sa mère, la marquise d’Osmond, était dame de Madame Adélaïde, tante de Louis xvi ; le roi lui-même et la reine Marie-Antoinette la voyaient souvent, et la traitaient avec cette bonté caressante qui attire d’autant plus les enfans qu’en même temps ils sont frappés du spectacle de la grandeur. Éléonore-Adèle d’Osmond jouait souvent à Versailles, à Bellevue et à Meudon, avec le jeune dauphin Louis, frère aîné de Louis xvii, enfant délicat et malade qui mourut au commencement de 1789, peu avant l’aurore de la tempête où devaient s’abîmer son trône et sa famille. Quand cette tempête éclata, la famille de Mlle d’Osmond y fut entraînée comme et presque avec la famille royale ; ses parens émigrèrent en Italie, d’abord à Rome, puis à Naples. Là Mlle d’Osmond, encore enfant et déjà aussi intelligente que jolie, devint l’objet de la faveur particulière de la reine Caroline, sœur de Marie-Antoinette, qui se chargea avec une bienveillance efficace des soins et des frais de son éducation. Elle continua ainsi à voir de près les splendeurs royales, en même temps que dans l’intérieur de sa famille elle assistait aux tristesses et aux détresses de la vie domestique. Ce double spectacle simultané fit sur elle une impression profonde ; elle apprit de bonne heure à connaître les bouleversemens des destinées humaines, hautes ou modestes, et à en entrevoir les causes en en ressentant les effets ; sa jeune intelligence prit ses premiers élans et reçut ses premières lumières sous le coup des révolutions sans sortir de la société des rois. Elle contracta dès lors avec la princesse de Naples, Marie-Amélie, ces liens de vraie et intime amitié qui devaient tant influer un jour sur leur mutuelle destinée.

Naples fut bientôt pour les émigrés français un séjour aussi impossible que Paris. Les parens de Mlle d’Osmond passèrent en Angleterre, presque le seul asile où n’atteignît pas la révolution et le seul pays qui s’en défendit avec une intelligente vigueur. Adèle d’Osmond fut jetée alors dans la société à la fois la plus aristocratique et la plus libre de l’Europe, au milieu des plus puissans adversaires de la révolution française et de ses plus éloquens défenseurs. Là Pitt gouvernait, Burke écrivait, Fox parlait. Malgré la diversité des opinions et des partis, les émigrés français étaient accueillis de tous, par les uns avec une sérieuse sympathie, par les autres avec un généreux intérêt, et ce grand spectacle de la lutte soutenue par la monarchie contre la révolution, avec les forces et sous les conditions du gouvernement libre, frappait vivement les